<134>à tout attroupement du peuple, par la crainte qu'il ne se tramât quelque complot, et qu'un chef de parti audacieux n'arborât l'étendard de la révolte. Le zèle des dévots brava les défenses du sénat; quelques fanatiques troublèrent les sacrifices du peuple, et poussèrent leur pieuse insolence jusqu'à renverser les simulacres des dieux; d'autres déchirèrent les édits des Empereurs; il y eut même des chrétiens engagés dans les légions, qui refusèrent d'obéir aux ordres de leurs supérieurs. De là ces persécutions dont l'Église fait trophée; de là le juste supplice de quelques chrétiens obscurs qu'on punit comme réfractaires aux lois de l'État, et comme perturbateurs du culte établi. Il fallut bien que les chrétiens fissent l'apothéose de leurs zélateurs. Les bourreaux païens peuplaient le paradis; après ces exécutions, des prêtres recueillaient les ossements des suppliciés, et leur donnaient une sépulture honorable. Il fallait bien qu'il se fît des miracles à leurs tombeaux. Le peuple, abruti dans la superstition, honora bientôt les cendres des martyrs; bientôt on plaça leurs images dans les églises; de saints imposteurs, enchérissant les uns sur les autres, introduisirent insensiblement l'usage de l'invocation des saints. Mais sentant que cet usage était contraire au christianisme, surtout à la loi de Moïse, ils crurent sauver les apparences en distinguant le culte de latrie de celui d'idolâtrie. Le vulgaire, qui ne distingue point, adora grossièrement et de bonne foi les saints. Toutefois ce dogme et ce culte nouveau ne s'établit que successivement, et il ne parvint à sa perfection qu'après le règne de Charlemagne, vers le milieu du neuvième siècle.
Tous les dogmes nouveaux s'établirent par des progressions semblables. Dans la primitive Église, Jésus-Christ avait passé pour une créature à laquelle l'Être suprême s'était complu; il ne se dit Dieu en aucun passage des Évangiles, si l'on ne s'abuse point par ces termes, fils de Dieu, fils de Bélial, qui étaient des façons de s'exprimer proverbiales des Juifs pour marquer la bonté ou la méchanceté des hommes qu'ils désignaient. Si le sentiment de la divinité de Jésus-Christ s'accrédita dans l'Église, il ne s'affermit que par la subtilité de quelques philosophes grecs de la secte des péripatéticiens, qui, en embrassant le christianisme, l'enrichirent d'une partie de la métaphysique obscure sous