<138>Il ne garda aucune mesure : il s'attribua le droit de conférer et d'ôter les couronnes, d'interdire les royaumes, de délier les sujets du serment de fidélité; il ne mettait point de fin à ses prétentions, dont on peut se convaincre par cette fameuse bulle In coena Domini qu'il publia. C'est de son pontificat qu'il faut dater l'époque du despotisme de l'Église. Ses successeurs attribuèrent dans la suite au clergé les priviléges dont avaient joui les tribuns de l'ancienne Rome : leurs personnes furent déclarées inviolables; pour les soustraire entièrement à la domination de leurs souverains légitimes, les conciles décidèrent que l'inférieur ne pouvait en aucun cas juger le supérieur, ce qui, dans le style du temps, signifiait que les princes n'avaient aucune autorité sur les ecclésiastiques de leurs États. Par ce moyen, l'évêque de Rome s'assurait d'un parti, d'une milice prête à combattre à ses ordres dans tous les empires. Quelque extravagantes que nous paraissent de telles entreprises, elles ne l'étaient point alors : la faiblesse du gouvernement féodal généralement établi en Europe, par conséquent de grands vassaux nés ennemis de leurs seigneurs suzerains, intéressés à soutenir les excommunications que les pontifes fulminaient contre le souverain, des princes voisins, jaloux ou ennemis de l'excommunié, des prêtres uniquement attachés au saint-siége et indépendants de leurs maîtres temporels : que de moyens pour tourmenter les rois, et que d'intérêts ne concouraient pas pour fournir aux papes des exécuteurs ardents et zélés de leurs bulles!

Nous ne rappellerons point ici la querelle des Empereurs et des pontifes au sujet de leurs prétentions sur la ville de Rome, au sujet des investitures par la crosse et l'anneau; ni leurs brouilleries, auxquelles les terres de la succession de la comtesse Mathilde donnèrent lieu : personne n'ignore que ces causes secrètes produisirent uniquement les fréquentes excommunications de tant de rois et empereurs. Cette espèce d'orgueil qui s'engendre dans le sein d'une puissance sans bornes, n'éclata jamais avec plus de scandale que dans la conduite de Grégoire VII envers l'empereur Henri IV. Enfermé dans son château de Canosse avec la comtesse Mathilde, il força ce prince aux soumissions les plus basses et les plus honteuses avant de l'absoudre. Toutefois il ne faut pas se figurer que les excommunications et les bulles portassent égale-