<53>la connaître. C'est principalement au ton de la bonne compagnie, à ce vernis répandu dans les ouvrages de M. de Voltaire, que ceux-ci doivent la vogue dont ils jouissent.
Déjà sa tragédie d'Œdipea et quelques vers agréables de société avaient paru dans le public, lorsqu'il se débita à Paris une satire en vers indécents contre le duc d'Orléans, alors régent de France. Un certain La Grange,b auteur de cette œuvre de ténèbres, pour éviter d'être soupçonné, trouva le moyen de la faire passer sous le nom de M. de Voltaire. Le gouvernement agit avec précipitation; le jeune poëte, tout innocent qu'il était, fut arrêté et conduit à la Bastille, où il demeura quelques mois : mais comme le propre de la vérité est de se faire jour plus tôt ou plus tard, le coupable fut puni, et M. de Voltaire, justifié et relâché. Croiriez-vous, messieurs, que ce fut à la Bastille même que notre jeune poëte composa les deux premiers chants de sa Henriade? Cependant cela est vrai : sa prison devint un Parnasse pour lui, où les Muses l'inspirèrent. Ce qu'il y a de certain, c'est que le second chant est demeuré tel qu'il l'avait d'abord minuté; faute de papier et d'encre, il en apprit les vers par cœur et les retint.
Peu après son élargissement, soulevé contre les indignes traitements et les opprobres dont il avait enduré la honte dans sa patrie, il se retira en Angleterre, où il éprouva non seulement l'accueil le plus favorable du public, mais où bientôt il forma un nombre d'enthousiastes. Il mit à Londres la dernière main à la Henriade, qu'il publia alorsa sous le nom du Poëme de la Ligue. Notre jeune poëte, qui savait tout mettre à profit, pendant qu'il fut en Angleterre, s'appliqua principalement à l'étude de la phi-
a Cette tragédie, commencée longtemps auparavant, fut représentée à Paris le 18 novembre 1718. L'auteur l'avait corrigée à la Bastille, où il demeura depuis le 17 mai 1717 jusqu'au 11 avril 1718. La première édition d'Œdipe est de 1719.
b La Grange-Chancel est, en effet, l'auteur des Philippiques, odes pour lesquelles il subit plusieurs années de prison; mais elles n'ont jamais été attribuées à Voltaire. La pièce pour laquelle Voltaire fut mis à la Bastille était intitulée, Les J'ai vu. On la trouve dans les Œuvres de Voltaire, publiées par M. Beuchot. A Paris, 1834, t. I, p. 325. Le véritable auteur de ces vers est, selon M. Beuchot, Antoine-Louis Le Brun, qui ne paraît pas avoir été puni.
a La Henriade parut en 1723, sous le titre de La Ligue, et l'auteur ne se réfugia en Angleterre qu'en 1726.