<55>dissoluble. Madame du Châtelet abandonna tout de suite la Théodicée de Leibniz et les romans ingénieux de ce philosophe, pour adopter à leur place la méthode circonspecte et prudente de Locke, moins propre à satisfaire une curiosité avide qu'à contenter la raison sévère; elle apprit assez de géométrie pour suivre Newton dans les calculs abstraits; son application fut même assez persévérante pour composer un abrégé de ce système, à l'usage de son fils. Cirey devint bientôt la retraite philosophique de ces deux amis; ils y composaient, chacun de son côté, des ouvrages de genres différents, qu'ils se communiquaient, tâchant, par des remarques réciproques, de porter leurs productions au degré de perfection où elles pouvaient probablement atteindre. Là furent composéesd Zaïre, Alzire, Mérope, Sémiramis, Catilina, Électre, ou Oreste.

M. de Voltaire, qui faisait tout entrer dans la sphère de son activité, ne se bornait pas uniquement au plaisir d'enrichir le théâtre par ses tragédies. Ce fut proprement pour l'usage de la marquise du Châtelet qu'il composa son Essai sur l'histoire universelle;a l'Histoire de Louis XIVa et l'Histoire de Charles XII avaient déjà paru.

Un auteur d'autant de génie, aussi varié que correct, n'échappa point à l'Académie française : elle le revendiqua comme un bien qui lui appartenait; il devint membre de ce corps illustre,b dont il fut un des plus beaux ornements. Louis XV, de même, pour le distinguer, l'honora de la charge de son gentilhomme ordinaire et de celle d'historiographe de France, qu'il avait, pour ainsi dire, déjà remplie, en écrivant l'histoire de Louis XIV.

Quoique M. de Voltaire fût sensible à des marques d'approbation aussi éclatantes, il l'était pourtant davantage à l'amitié : inséparablement lié avec madame du Châtelet, le brillant d'une grande cour n'offusqua pas ses yeux au point de lui faire préférer la splendeur de Versailles au séjour de Lunéville, bien moins


d Voltaire écrivit Alzire en 1736, le Fanatisme, ou Mahomet le Prophète, en 1741, Mérope en 1743, Sémiramis en 1748. Zaïre avait été composée en 1732; Électre, ou Oreste, est de 1750, et Rome sauvée, ou Catilina, de 1752.

a On voit que le Roi change un peu les titres de ces ouvrages.

b En 1746.