<57>nèrent lieu à une espèce d'émeute ou de guerre qui ne fut que ridicule. M. de Voltaire ne manqua pas d'immortaliser cet événement, en chantant cette soi-disant guerrea sur le ton que celle des rats et des grenouilles l'avait été autrefois par Homère. Tantôt sa plume féconde enfantait des ouvrages de théâtre, tantôt des mélanges de philosophie et d'histoire, tantôt des romans allégoriques et moraux; mais en même temps qu'il enrichissait ainsi la littérature de ses nouvelles productions, il s'appliquait à l'économie rurale. On voit combien un bon esprit est susceptible de toute sorte de formes : Ferney était une terre presque dévastée quand notre philosophe l'acquit; il la remit en culture; non seulement il la repeupla, mais il y établit encore quantité de manufacturiers et d'artistes.
Ne rappelons pas, messieurs, trop promptement les causes de notre douleur; laissons encore M. de Voltaire tranquillement à Ferney, et jetons, en attendant, un regard plus attentif et plus réfléchi sur la multitude de ses différentes productions. L'histoire rapporte que Virgile, en mourant, peu satisfait de l'Énéide, qu'il n'avait pu autant perfectionner qu'il aurait désiré, voulait la brûler. La longue vie dont jouit M. de Voltaire, lui permit de limer et de corriger son poëme de la Ligue, et de le porter à la perfection où il est parvenu maintenant sous le nom de la Henriade. Les envieux de notre auteur lui reprochèrent que son poëme n'était qu'une imitation de l'Énéide; et il faut convenir qu'il y a des chants dont les sujets se ressemblent; mais ce ne sont pas des copies serviles. Si Virgile dépeint la destruction de Troie, Voltaire étale les horreurs de la Saint-Barthélemy; aux amours de Didon et d'Énée on compare les amours de Henri IV et de la belle Gabrielle d'Estrées; à la descente d'Énée aux enfers, où Anchise lui découvre la postérité qui doit naître de lui, l'on oppose le songe de Henri IV, et l'avenir que saint Louis dévoile en lui annonçant le destin des Bourbons. Si j'osais hasarder mon sentiment, j'adjugerais l'avantage de deux de ces chants au Français, à savoir, celui de la Saint-Barthélemy et du songe de Henri IV. Il n'y a que les amours de Didon où il paraît que Vir-
a La guerre civile de Genève, ou les amours de Robert Covelle, poëme héroïque, avec des notes instructives. 1768.