<75>Moscovites les mêmes avantages que les Espagnols avaient eus sur les nations sauvages de l'Amérique; aussi les succès répondirent-ils pleinement à cette attente, et les nations virent avec étonnement huit mille Suédois battre et disperser quatre-vingt mille Russes.

De ce champ de triomphe j'accompagne notre héros aux bords de la Düna, seule occasion où il ait employé la ruse et s'en soit habilement servi. Les Saxons défendaient l'autre bord du fleuve; Charles les abuse par un stratagème nouveau dont il est l'inventeur. Il a déjà franchi la rivière à la faveur d'une fumée artificielle qui cachait ses mouvements, avant que le vieux Steinau, qui commandait les Saxons, s'en soit aperçu. Les Suédois sont aussitôt rangés en ordre de bataille que débarqués; après quelques chocs de cavalerie et une charge légère d'infanterie, ils mettent en fuite les Saxons et les dispersent. Quelle conduite admirable pour ce passage de rivière, quelle présence d'esprit et quelle activité pour donner, en débarquant, aux troupes un champ propre pour agir, et quelle valeur pour décider le combat en si peu de temps!

Des morceaux aussi parfaits méritent les éloges des contemporains et de la postérité; mais ce qui doit paraître surprenant à tout le monde, c'est que ce qu'on trouve de plus achevé parmi les exploits de Charles XII, ce furent ses premières campagnes. Peut-être que la fortune le gâta à force de le favoriser; peut-être qu'il crut que l'art était inutile à un homme auquel rien ne résistait; ou peut-être encore que sa valeur, quoique admirable, l'induisit souvent à n'être que téméraire.

Charles avait jusqu'ici tourné ses armes contre l'ennemi auquel il lui convenait d'opposer ses forces. Depuis la bataille de la Diana, on perd de vue le fil qui le conduisit : ce ne sont qu'une foule d'entreprises sans liaison et sans dessein, parsemées à la vérité d'actions brillantes, mais qui ne tendent pas au but principal que le Roi devait se proposer dans cette guerre.

Le Czar était sans contredit l'ennemi le plus puissant et le plus dangereux qu'eût la Suède; il semble que c'était à lui que notre héros devait s'adresser d'abord après la défaite des Saxons. Les débris de Narwa étaient encore errants; Pierre Ier avait ramassé à la hâte trente ou quarante mille Moscovites qui ne valaient pas mieux que ces quatre-vingt mille barbares auxquels