<78>de leurs entreprises. Gardons-nous d'imputer au manque de prévoyance des malheurs produits par des causes secondes, causes que le peuple nomme hasard, et qui, ayant tant d'influence dans les vicissitudes humaines, trop multipliées ou trop obscures, échappent aux esprits les plus transcendants.

Il ne faut point rendre le roi de Suède responsable de tous les malheurs qui lui sont arrivés; il faut, au contraire, s'appliquer à distinguer ceux qu'un enchaînement de fatalités lui a fait essuyer, de ceux qu'il a pu s'attirer par ses propres fautes.

La fortune qui accompagna sans cesse toutes les entreprises de ce prince pendant ses guerres de Pologne, l'empêcha de s'apercevoir qu'il s'était souvent écarté des règles de l'art; et comme il ne fut point puni de ses fautes, il ne ressentit point les inconvénients dans lesquels il aurait pu tomber. Ce bonheur continuel lui donna trop de sécurité, et il ne pensa pas même à changer de mesures. Il paraît qu'il manqua entièrement de prévoyance dans les campagnes qu'il fit dans la principauté de Smolensko et dans l'Ukraine. Quand même il aurait détrôné le Czar à Moscou, il n'en serait pas plus louable, parce que ses succès auraient été dus au hasard, et non pas à sa conduite. On a comparé une armée à un édifice dont le ventre sert de fondement,a puisque la première attention d'un général doit être de nourrir ses troupes. Ce qui contribua le plus au malheur du roi de Suède, ce fut le peu d'attention qu'il eut pour faire subsister son armée. Comment applaudir à un général auquel il faut des troupes qui vivent sans se nourrir, qui soient infatigables et immortelles? On blâme ce prince de s'être confié trop légèrement aux promesses de Mazeppa; mais ce Cosaque ne le trompa point, il fut lui-même trahi par un enchaînement de causes secondes qu'on ne pouvait pas prévoir; d'ailleurs, les âmes de la trempe de Charles XII ne sont jamais soupçonneuses, et ne deviennent méfiantes qu'après avoir souvent éprouvé la méchanceté et l'ingratitude des hommes.

Mais je me ramène à l'examen du projet de campagne de ce prince. Si je hasarde mes conjectures, moi qui ne puis pas dire comme le Corrége, Son pittore anch'io, il me semble que le Roi, voulant réparer alors la faute qu'il avait faite de négliger le Czar


a Voyez t. III, p. 85.