<82>cette impétuosité et cette ardeur qui leur étaient ordinaires. Il faut encore convenir qu'ils ne livrèrent d'assaut à la place qu'après que Menschikoff y eut jeté des secours, et se fut campé proche de la ville, à l'autre bord de la Varnitza.a Mais le Czar avait à Poltawa un magasin considérable; les Suédois, qui manquaient de tout, ne devaient-ils pas s'emparer au plus vite de ce magasin, pour en priver les Russes et pour se mettre en même temps dans l'abondance? Charles XII avait sans doute les raisons les plus fortes de presser ce siége; il aurait dû se rendre maître de cette bicoque à tout prix avant l'arrivée des secours.
En décomptant les Cosaques vagabonds de Mazeppa, à charge un jour de combat, il ne restait au Roi que dix-huit mille Suédois. Faible comme il était, quelle raison pouvait-il avoir, avec aussi peu de troupes, d'entreprendre un siége et de se battre en même temps? A l'approche de l'ennemi, il fallait, ou abandonner son entreprise, ou laisser un gros corps à la garde de la tranchée. L'un était honteux, l'autre réduisait presque à rien le nombre de ses combattants; le dessein de Charles était donc contraire aux intérêts des Suédois; il donnait beau jeu au Czar, et paraît indigne de notre héros. On n'oserait qu'à peine l'attribuer à un général qui n'aurait jamais fait la guerre avec réflexion. Ne cherchons pas finesse où il n'y en a point, et, sans charger le roi de Suède de desseins auxquels il ne pensa peut-être jamais, souvenons-nous qu'il avait été souvent mal instruit des mouvements de ses ennemis. Il paraît donc plus vraisemblable de croire que, n'étant informé ni de la marche de Menschikoff ni de celle du Czar, il se persuada qu'il n'était point pressé, et qu'il pouvait réduire Poltawa à son aise. Ajoutez à ceci que ce prince avait fait toute sa vie la guerre de campagne, et qu'il était nouveau dans celle des siéges, dont il n'avait pu acquérir l'expérience. Si l'on considère, de plus, que les Suédois passèrent trois mois devant Thorn, dont, soit dit en passant, les ouvrages ne valent guère mieux que ceux de Poltawa, on se convaincra de leur peu d'habileté pour les siéges. Eh quoi! si Mons, si Tournai, si des places fortifiées par les Coehorn et les Vauban arrêtent à peine trois se-
a Poltawa est situé sur la Worskla; Varnitza est un village turc où Charles XII s'établit après que les eaux du Dniester eurent inondé son petit camp de Bender.