<87>cessa de leur paraître un objet de terreur, voulurent s'agrandir des débris de sa monarchie. Mais les passions de ce prince n'étaient pas susceptibles de modifications : il voulait tout emporter de hauteur, et établir sur les souverains un empire despotique; il croyait que de faire la guerre aux rois ou de les détrôner, c'était la même chose.
Je trouve dans tous les livres qui parlent de Charles XII des éloges magnifiques de sa frugalité et de sa continence. Cependant vingt cuisiniers français, mille concubines à sa suite, et dix troupes de comédiens dans son armée, n'auraient jamais porté la centième partie du préjudice à son royaume, que lui causèrent l'ardente soif de la vengeance et le désir immodéré de la gloire qui dominaient ce prince. Les offenses faisaient sur son esprit des impressions si vives et si fortes, que les derniers outrages effaçaient jusqu'aux traces que les premiers y avaient imprimées. On voit, pour ainsi dire, éclore les différentes passions qui agitaient avec tant de violence cette âme implacable, en suivant ce prince à la tête de ses armées : d'abord il presse vivement le roi de Danemark; ensuite c'est le roi de Pologne qu'il poursuit à outrance; bientôt sa haine se tourne tout entière contre le Czar; enfin, son ressentiment n'a d'objet que le roi d'Angleterre George Ier, et il s'oublie jusqu'à perdre de vue l'ennemi permanent de son royaume, pour courir après le fantôme d'un ennemi qui l'était occasionnellement, ou, pour mieux dire, par accident.
En rapprochant les différents traits qui caractérisent ce monarque singulier, on le trouvera plus vaillant qu'habile, plus actif que prudent, plus subordonné à ses passions qu'attaché à ses véritables intérêts; aussi audacieux mais moins rusé qu'Annibal; ressemblant plutôt à Pyrrhus qu'à Alexandre; aussi brillant que Condé à Rocroi, à Fribourg, à Nordlingue; en aucun temps comparable à Turenne, ni aussi admirable qu'il le parut aux journées de Gien, des Dunes, près de Dunkerque, de Colmar, et surtout durant ses deux dernières campagnes.
Quelque éclat que jettent les actions de notre illustre héros, il faut l'imiter avec circonspection : plus il éblouit, plus il est propre à égarer la jeunesse légère et fougueuse; on ne saurait assez lui inculquer que la valeur n'est rien sans la sagesse, et