<95>poëte expose sur le théâtre; la pièce est bien faite. Si Molière avait travaillé sur le même sujet, il n'aurait pas mieux réussi. Je suis fâché de ne pouvoir pas vous étaler un catalogue plus ample de nos bonnes productions; je n'en accuse pas la nation : elle ne manque ni d'esprit ni de génie; mais elle a été retardée par des causes qui l'ont empêchée de s'élever en même temps que ses voisins. Remontons, s'il vous plaît, à la renaissance des lettres, et comparons la situation où se trouvèrent l'Italie, la France et l'Allemagne lors de cette révolution qui se fit dans l'esprit humain.

Vous savez que l'Italie en redevint le berceau; que la maison d'Este, les Médicis et le pape Léon X contribuèrent à leurs progrès en les protégeant. Tandis que l'Italie se polissait, l'Allemagne, agitée par des théologiens, se partageait en deux factions, dont chacune se signalait par sa haine pour l'autre, son enthousiasme et son fanatisme. Dans ce même temps, François Ier entreprit de partager avec l'Italie la gloire d'avoir contribué à restaurer les lettres : il se consuma en vains efforts pour les transplanter dans sa patrie; ses peines furent infructueuses. La monarchie, épuisée par la rançon de son roi, qu'elle payait à l'Espagne, était dans un état de langueur. Les guerres de la Ligue, qui survinrent après la mort de François Ier, empêchaient les citoyens de s'appliquer aux beaux-arts. Ce ne fut que vers la fin du règne de Louis XIII, après que les plaies des guerres civiles furent guéries, sous le ministère du cardinal de Richelieu, dans des temps qui favorisaient cette entreprise, qu'on reprit le projet de François Ier. La cour encouragea les savants et les beaux esprits, tout se piqua d'émulation et bientôt après, sous le règne de Louis XIV, Paris ne le céda ni à Florence ni à Rome. Que se passait-il alors en Allemagne? Précisément lorsque Richelieu se couvrait de gloire en polissant sa nation, c'était le fort de la guerre de trente ans. L'Allemagne était ravagée et pillée par vingt armées différentes, qui, tantôt victorieuses, tantôt battues, amenaient la désolation à leur suite. Les campagnes étaient dévastées, les champs, sans culture, les villes, presque désertes. L'Allemagne n'eut guère le temps de respirer après la paix de Westphalie : tantôt elle s'opposait aux forces de l'empire ottoman, très-redou-