<99>écoliers profitent ou qu'ils ne s'instruisent pas, cela leur est indifférent, pourvu que leurs gages leur soient exactement payés. Et c'est encore pis si ces maîtres manquent eux-mêmes de connaissances. Qu'apprendront-ils aux autres, si eux-mêmes ne savent rien? A Dieu ne plaise qu'il n'y ait pas quelque exception à cette règle, et qu'on ne trouve pas en Allemagne quelques recteurs habiles! Je ne m'y oppose en rien; je me borne à désirer ardemment que leur nombre fût plus considérable. Que ne dirai-je pas de la méthode vicieuse que les maîtres emploient pour enseigner à leurs élèves la grammaire, la dialectique, la rhétorique, et d'autres connaissances! Comment formeront-ils le goût de leurs écoliers, s'ils ne savent pas eux-mêmes discerner le bon du médiocre, et le médiocre du mauvais; s'ils confondent le style diffus avec le style abondant, le trivial, le bas, avec le naïf, la prose négligée et défectueuse avec le style simple, le galimatias avec le sublime; s'ils ne corrigent pas avec exactitude les thèmes de leurs écoliers; s'ils ne relèvent pas leurs fautes sans les décourager; et s'ils ne leur inculquent pas soigneusement les règles qu'ils doivent toujours avoir devant les yeux en composant? J'en dis autant pour l'exactitude des métaphores; car je me ressouviens dans ma jeunesse d'avoir lu, dans une épître dédicatoire d'un professeur Heineccius à une reine, ces belles paroles : « Ihro Majestät glänzen wie ein Karfunkel am Finger der jetzigen Zeit.a Votre Majesté brille comme une escarboucle au doigt du temps présent. » Peut-on rien de plus mauvais! Pourquoi une escarboucle? Est-ce que le temps a un doigt? Quand on le représente, on le peint avec des ailes, parce qu'il s'envole sans cesse; avec une clepsydre, parce que les heures le divisent; et on arme son bras d'une faux, pour désigner qu'il fauche ou détruit tout ce qui existe. Quand des professeurs s'expriment dans un style aussi bas que ridicule, à quoi faut-il s'attendre de leurs écoliers?


a Cette phrase n'est pas de Heineccius, mais d'Adam Eberti, professeur à Francfort-sur-l'Oder, qui publia, en 1723, sous le nom d'Aulus Apronius et en langue allemande, la relation d'un voyage en Allemagne. Une nouvelle édition en parut l'année suivante, avec une dédicace à la reine Sophie de Prusse, qu'il nomme, entre autres, Höchststrahlender Carfunkel an der Stirne der Tugend-Königinn von Europa, tandis qu'il appelle le Roi, den grossen Diamanten an dem Finger der itzigen Zeit.