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ÉLOGE DE M. DUHAN.

Charles-Égide11-a Duhan de Jandun naquit le 14 mars 1685, à Jandun en Champagne, de Philippe Duhan, sieur de Jandun, et de dame Marie d'Auger, d'une maison originaire d'Italie et qui s'y était distinguée. Son grand-père maternel avait été gouverneur pour le Roi des citadelles de Mézières et de Charleville, et son père fut honoré de la charge de conseiller d'État et privé; mais il quitta en 1687 ses emplois et ses établissements pour venir jouir à Berlin du libre exercice de la religion protestante, et y fut suivi, peu après, de son épouse et de son fils.

M. Duhan, guidé par son père dans ses premières études, les fit avec succès sous M. La Croze. Il entra ensuite en philosophie sous M. Naudé.11-b Ses progrès dans cette science ne furent pas moins rapides que ceux qu'il avait faits dans l'éloquence et dans les belles-lettres. Il fut honoré des attentions de ses maîtres, et elles pouvaient tenir lieu d'une louange non équivoque. Ces hommes célèbres ne les accordaient qu'au mérite.

M. Duhan cultivait les lettres avec tant de soin, que l'on aurait pu penser que son goût pour elles excluait chez lui tous les <11>autres. Mais il était de ces hommes que la beauté de leur génie rend propres à tout. Le siége de Stralsund, que le feu roi formait alors, réveilla dans M. Duhan ce zèle pour la gloire qui caractérise si particulièrement la noblesse française. Il y servit comme volontaire, et se trouvait partout : le Roi le remarqua bientôt, demanda qui il était, et sur le récit que M. le comte de Dohna lui fit de sa naissance et de son mérite, le Roi le destina pour entrer dans l'éducation du Prince royal.12-a Il est rare de voir prendre un précepteur dans une tranchée; mais cette singularité fut trop heureuse pour n'être pas approuvée.

Les vertus héroïques et les qualités brillantes qui font l'objet de notre amour et l'admiration de l'Europe entière, montrent combien l'illustre élève sut profiter des leçons de son maître; et l'amitié dont ce prince l'a toujours honoré, prouve également que le talent d'instruire n'est pas incompatible avec celui de plaire.

Les études du Prince royal étant finies, M. Duhan fut pourvu de la charge de conseiller de la justice allemande et du consistoire supérieur français. Il ne goûta pas longtemps le repos que ses emplois paraissaient lui promettre. Un bonheur constant et durable n'est point l'apanage de l'humanité. M. Duhan fut relégué en Prusse. Mais la cause pour laquelle il souffrait, loin de le dérober à l'estime publique ou d'occasionner ses remords, aurait pu au contraire exciter sa vanité et animer ses espérances. Il aimait trop le sujet de ses peines pour en murmurer, et il conserva toujours la tranquillité inséparable de la bonne conduite, et qui, dans les différentes situations de la vie, peut être regardée comme la pierre de touche de la véritable philosophie.

Un calme heureux ayant succédé à un orage qui avait porté l'épouvante dans tous les cœurs, M. Duhan en profita bientôt, et fut placé, par la protection du Prince royal, auprès de S. A. S. le duc de Brunswic, qui l'honora des bontés les plus marquées. Il demeura dans cette cour jusqu'en 1740, que le Roi, étant parvenu au trône, le rappela à Berlin, et le revêtit de la charge de conseiller privé au département des affaires étrangères. Une faveur plus brillante encore, et dont il était fait pour connaître le <12>prix, se joignait à ces titres honorables. Le Roi l'appelait souvent près de sa personne. Il voyait son prince, l'entendait, et sortait content.

L'Académie, à son renouvellement, nomma M. Duhan un de ses honoraires. Il était à tous les égards bien digne de ce choix. Outre quelques pièces de littérature que sa modestie l'empêchait de produire, il avait fait des extraits pour servir à l'histoire de Prusse et de Brandebourg. Cet ouvrage a exigé beaucoup de soins et de recherches, et la manière dont il a rassemblé ces matériaux, doit faire regretter qu'il n'ait pas eu le temps de les mettre en œuvre.

M. Duhan suivit le Roi à la campagne de 1741. Il fut attaqué, peu après son retour, d'une maladie qui ne paraissait rien d'abord, mais à laquelle son éloignement presque invincible pour les remèdes laissa faire bientôt de grands progrès. Il languit assez longtemps, et supporta ses maux avec toute la patience que l'on pouvait attendre de la fermeté de son caractère et de la douceur de ses mœurs. Le Roi, couronné par la victoire et par la paix, se déroba au tumulte de son triomphe pour aller le visiter le jour même de son arrivée, et les derniers moments de M. Duhan furent consacrés à la reconnaissance et à l'admiration. Il mourut le 3 de janvier 1746, avec le courage d'un philosophe et la piété d'un chrétien.

M. Duhan était savant, et unissait à un caractère doux et liant un esprit fort orné. Son commerce était agréable. Il vivait cependant d'une manière si retirée, que bien des gens auraient été tentés de le soupçonner d'un peu de misanthropie : les affaires, les lettres, et la société de quelques amis, partageaient tout son temps. Il a toujours conservé pour sa famille les sentiments essentiels à la véritable probité, et jamais le Roi n'a eu un sujet ni plus zélé ni plus fidèle. Les regrets que ce grand prince a donnés à sa perte, pourraient seuls former son éloge.


11-a Jacques-Égide.

11-b Il n'y a point eu de Naudé professeur de philosophie. Le professeur de mathématiques de ce nom était né la même année que M. Duhan; il fut toujours son ami intime, et mourut un an avant lui, en janvier 1745.

12-a Ce fut le 31 janvier 1716 que M. Duhan fut nommé précepteur du Prince royal.