<108>Si un roi de France, si un Empereur prétendait acquérir de cette manière la connaissance de ses États, il leur faudrait autant de temps dans le cours de leur chasse qu'en emploie tout l'univers dans la grande révolution des astres.
Qu'on me permette d'entrer dans un plus grand détail sur une matière qui sera comme une espèce de digression à l'occasion de la chasse; et puisque ce plaisir est la passion presque générale des nobles, des grands seigneurs et des rois, surtout en Allemagne, il me semble qu'elle mérite quelque discussion.
La chasse est un de ces plaisirs sensuels qui agitent beaucoup le corps, et qui ne disent rien à l'esprit; c'est un désir ardent de poursuivre quelque bête, et une satisfaction cruelle de la tuer; c'est un amusement qui rend le corps robuste et dispos, et qui laisse l'esprit en friche et sans culture.
Les chasseurs me reprocheront, sans doute, que je prends les choses sur un ton trop sérieux, que je fais le critique sévère, et que je suis dans le cas des prêtres, qui, ayant le privilége de parler seuls dans les chaires, ont la facilité de prononcer tout ce que bon leur semble, sans appréhender d'opposition.
Je ne me prévaudrai point de cet avantage; j'alléguerai de bonne foi les raisons spécieuses qu'allèguent les amateurs de la chasse. Ils me diront d'abord que la chasse est le plaisir le plus noble et le plus ancien des hommes; que des patriarches et même beaucoup de grands hommes ont été chasseurs; et qu'en chassant, les hommes continuent à exercer ce même droit sur les bêtes, que Dieu daigna lui-même donner à Adam.
Mais ce qui est vieux n'en est pas meilleur, surtout quand il est outré. De grands hommes ont été passionnés pour la chasse, je l'avoue; ils ont eu leurs défauts comme leurs faiblesses : imitons ce qu'ils ont eu de grand, et ne copions point leurs minuties.
Les patriarches ont chassé, c'est une vérité; j'avoue encore qu'ils ont épousé leurs sœurs, que la polygamie était en usage de leur temps. Mais ces bons patriarches, en chassant ainsi, se ressentirent des siècles barbares dans lesquels ils vivaient : ils étaient très-grossiers et très-ignorants; c'étaient des gens oisifs qui, ne sachant point s'occuper, et pour tuer le temps qui leur paraissait toujours trop long, promenaient leurs ennuis à la chasse; ils per-