<114>tique de ne jamais confondre les petits États avec les grands, et c'est en quoi Machiavel pèche grièvement en ce chapitre.
La première faute que je dois lui reprocher est qu'il prend le mot de libéralité dans un sens trop vague; il ne distingue pas assez la libéralité de la prodigalité. « Un prince, dit-il, pour faire de grandes choses, doit passer pour libéral, et il doit l'être. » Je ne connais aucun héros qui ne l'ait été. Afficher l'avarice, c'est dire aux hommes, N'attendez rien de moi, je payerai toujours mal vos services; c'est éteindre l'ardeur que tout sujet a naturellement de servir son prince.
Sans doute il n'y a que l'homme économe qui puisse être libéral : il n'y a que celui qui gouverne prudemment ses biens qui puisse faire du bien aux autres.
On connaît l'exemple de François Ier, roi de France, dont les dépenses excessives furent en partie la cause de ses malheurs. Les plaisirs de François Ier absorbaient les ressources de sa gloire; ce roi n'était pas libéral, mais prodigue, et sur la fin de sa vie il devint un peu avare; au lieu d'être bon ménager, il mit des trésors dans ses coffres. Mais ce n'est pas des trésors sans circulation qu'il faut avoir, c'est un ample revenu. Tout particulier et tout roi qui ne sait qu'entasser, enterrer de l'argent, n'y entend rien : il faut le faire circuler pour être vraiment riche. Les Médicis n'obtinrent la souveraineté de Florence que parce que le grand Cosme, père de la patrie, simple marchand, fut habile et libéral. Tout avare est un petit génie, et je crois que le cardinal de Retz a raison quand il dit que dans les grandes affaires il ne faut jamais regarder à l'argent. Que le souverain se mette donc en état d'en acquérir beaucoup, en favorisant le commerce et les manufactures de ses sujets, afin qu'il puisse en dépenser beaucoup à propos : il sera aimé et estimé.
Machiavel dit que la libéralité le rendra méprisable : voilà ce que pourrait dire un usurier; mais est-ce ainsi que doit parler un homme qui se mêle de donner des leçons aux princes?