<126>fond véritable de ces révolutions était la forme du gouvernement. Les gardes prétoriennes devinrent ce qu'ont été, depuis, les mameluks en Égypte, les janissaires en Turquie, les strélitz en Moscovie. Constantin cassa les gardes prétoriennes habilement; mais enfin les malheurs de l'empire exposèrent encore ses maîtres à l'assassinat et à l'empoisonnement. Je remarquerai seulement que les mauvais empereurs périrent de morts violentes; mais un Théodose mourut dans son lit, et Justinien vécut heureux quatre-vingt-quatre ans. Voilà sur quoi j'insiste. Il n'y a presque point de méchants princes heureux, et Auguste ne fut paisible que quand il devint vertueux. Le tyran Commode, successeur du divin Marc-Aurèle, fut mis à mort malgré le respect qu'on avait pour son père. Caracalla ne put se soutenir, à cause de sa cruauté. Alexandre Sévère fut tué par la trahison de ce Maximin de Thrace qui passe pour un géant, et Maximin, ayant soulevé tout le monde par ses barbaries, fut assassiné à son tour. Machiavel prétend que celui-là périt par le mépris qu'on faisait de sa basse naissance; Machiavel a grand tort : un homme élevé à l'empire par son courage n'a plus de parents; on songe à son pouvoir, et non à son extraction. Pupien était fils d'un maréchal de village; Probus, d'un jardinier; Dioclétien, d'un esclave; Valentinien, d'un cordier : ils furent tous respectés. Le Sforce qui conquit Milan était un paysan; Cromwell, qui assujettit l'Angleterre et fit trembler l'Europe, était fils d'un marchand; le grand Mahomet, fondateur de la religion la plus florissante de l'univers, était un garçon marchand; Samon, premier roi d'Esclavonie, était un marchand français; le fameux Piaste, dont le nom est encore révéré en Pologne, fut élu roi ayant encore aux pieds ses sabots, et il vécut respecté longues années. Que de généraux d'armée, que de ministres et de chanceliers roturiers! L'Europe en est pleine, et n'en est que plus heureuse, car ces places sont données au mérite. Je ne dis pas cela pour mépriser le sang des Witikind, des Charlemagne et des Ottoman;a je dois, au contraire, par plus d'une raison, aimer le sang des héros; mais j'aime encore plus le mérite.b


a Probablement des Othon.

b Voyez t. I, p. 1.