<127>On ne doit pas ici oublier que Machiavel se trompe beaucoup lorsqu'il croit que du temps de Sévère il suffisait de ménager les soldats pour se soutenir; l'histoire des empereurs le contredit. Plus on ménageait les prétoriens indisciplinables, plus ils sentaient leur force; et il était également dangereux de les flatter, et de les vouloir réprimer. Les troupes, aujourd'hui, ne sont pas à craindre, parce qu'elles sont toutes divisées en petits corps qui veillent les uns sur les autres, parce que les rois nomment à tous les emplois, et que la force des lois est plus établie. Les empereurs turcs ne sont si exposés au cordeau que parce qu'ils n'ont pas su encore se servir de cette politique. Les Turcs sont esclaves du sultan, et le sultan est esclave des janissaires. Dans l'Europe chrétienne, il faut qu'un prince traite également bien tous les ordres de ceux à qui il commande, sans faire de différences qui causent des jalousies funestes à ses intérêts.
Le modèle de Sévère, proposé par Machiavel à ceux qui s'élèveront à l'empire, est donc tout aussi mauvais que celui de Marc-Aurèle leur peut être avantageux. Mais comment peut-on proposer ensemble Sévère, César Borgia et Marc-Aurèle pour modèles? C'est vouloir réunir la sagesse et la vertu la plus pure avec la plus affreuse scélératesse.
Je ne puis finir sans insister encore que César Borgia, avec sa cruauté si habile, fit une fin très-malheureuse, et que Marc-Aurèle ce philosophe couronné, toujours bon, toujours vertueux, n'éprouva jusqu'à sa mort aucun revers de fortune.