<162>Les princes, qui ne sont dans le monde que pour rendre les hommes heureux, devraient bien y penser avant que de les exposer, pour des causes frivoles et vaines, à tout ce que l'humanité a de plus à redouter.
Les souverains qui regardent leurs sujets comme leurs esclaves les hasardent sans pitié, et les voient périr sans regret; mais les princes qui considèrent les hommes comme leurs égaux, et qui envisagent le peuple comme le corps dont ils sont l'âme, sont économes du sang de leurs sujets.
Je prie les souverains, en finissant cet ouvrage, de ne se point offenser de la liberté avec laquelle je leur parle; mon but est de dire la vérité, d'exciter à la vertu, et de ne flatter personne. La bonne opinion que j'ai des princes qui règnent à présent dans le monde me les fait juger dignes d'entendre la vérité. C'est aux Nérons, aux Alexandre VI, aux César Borgia, aux Louis XI, qu'on n'oserait la dire. Grâces au ciel, nous ne comptons point de tels hommes parmi les princes de l'Europe, et c'est faire leur plus bel éloge que de dire qu'on ose hardiment blâmer devant eux tous les vices qui dégradent la royauté, et qui sont contraires aux sentiments d'humanité et de justice.