<191>rupteur est en quelque façon aussi criminel que le corrompu, puisqu'il joue le rôle de tentateur, et que sans cette tentation l'autre ne pourrait pas succomber. Mais ne cherchons point des crimes à Borgia, et passons-lui ses corruptions, ne fût-ce que parce qu'elles ont du moins quelque ressemblance avec les bienfaits, à cette différence près, que le corrupteur est généreux pour lui-même, et que l'homme bienfaisant ne l'est que pour les autres. Borgia voulait se défaire de quelques princes de la maison d'Urbin, de Vitellozzo, d'Oliverotto de Fermo, etc.; et Machiavel dit qu'il eut la prudence de les faire venir à Sinigaglia, où il les fit périr par trahison.
Abuser de la bonne foi des hommes, dissimuler sa méchanceté, user de ruses infâmes, trahir, se parjurer, assassiner, voilà ce que le docteur de la scélératesse appelle prudence. Je ne parle point avec lui de religion, ni de morale, mais simplement de l'intérêt; il me suffira pour le confondre. Je demande s'il y a de la prudence aux hommes de montrer comme on peut manquer de foi et comme on peut se parjurer. Si vous renversez la bonne foi et le serment, quels seront les garants que vous aurez de la fidélité des hommes? Si vous renversez les serments, par quoi voulez-vous obliger les sujets et les peuples de respecter votre domination? Si vous anéantissez la bonne foi, comment pourrez-vous avoir confiance en qui que ce soit, et comment pourrez-vous faire fond sur les promesses qu'on vous fait? Donnez-vous des exemples de trahison, il se trouvera toujours des traîtres qui vous imiteront. Donnez-vous des exemples de perfidie, combien de perfides ne vous rendront pas la pareille! Enseignez-vous l'assassinat, craignez qu'un de vos disciples ne fasse son coup d'essai sur votre propre personne, et qu'ainsi il ne vous reste que l'avantage d'avoir la prééminence dans le crime, et l'honneur d'en avoir enseigné le chemin à des monstres aussi dénaturés que vous-même. C'est ainsi que les vices se confondent, et qu'ils couvrent d'infamie ceux qui s'y adonnent, en leur devenant préjudiciables et dangereux. Jamais un prince n'aura le monopole du crime; ainsi il ne trouvera jamais d'impunité pour sa scélératesse. Le crime est comme un rocher dont une partie se détache, qui brise tout ce qu'il rencontre en son chemin, et qui enfin, par son poids,