<199>comme aux crimes; affreuse prudence des monstres qui ne connaissent qu'eux et n'aiment qu'eux dans l'univers, et qui enfreignent tous les devoirs de la justice et de l'humanité pour suivre le torrent furieux de leurs caprices et de leurs débordements!
Ce n'est pas tout que de confondre l'affreuse morale de Machiavel; il faut encore le convaincre de fausseté et de mauvaise foi.
Il est premièrement faux, comme le rapporte Machiavel, qu'Agathocles ait joui en paix du fruit de ses crimes : il a été presque toujours en guerre contre les Carthaginois; il fut même obligé d'abandonner son armée en Afrique, qui massacra ses enfants après son départ; et il mourut lui-même d'un breuvage empoisonné que son petit-fils lui fit prendre. Oliverotto de Fermo périt par la perfidie de Borgia, digne salaire de ses crimes; et comme ce fut une année après son élévation, sa chute paraît si accélérée, qu'elle semble avoir prévenu par sa punition ce que lui préparait la haine publique.
L'exemple d'Oliverotto de Fermo ne devait donc point être cité par l'auteur, puisqu'il ne prouve rien. Machiavel voudrait que le crime fût heureux, et il se flatte par là d'avoir quelque bonne raison de l'accréditer, ou du moins un argument passable à produire.
Mais supposons que le crime puisse se commettre avec sécurité, et qu'un tyran puisse exercer impunément sa scélératesse : quand même il ne craindra point une mort tragique, il sera également malheureux de se voir l'opprobre du genre humain; il ne pourra point étouffer ce témoignage intérieur de sa conscience qui dépose contre lui; il ne pourra point imposer silence à cette voix puissante qui se fait entendre sur les trônes des rois comme sur les tribunaux des tyrans; il ne pourra point éviter cette funeste mélancolie qui, frappant son imagination, lui fera voir sortis de leurs tombeaux ces mânes sanglants que sa cruauté y avait fait descendre, et qui ne lui paraîtront ainsi forcer les lois de la nature que pour lui servir de bourreaux en ce monde, et venger après leur mort leur fin malheureuse et tragique.
Qu'on lise la vie d'un Denys, d'un Tibère, d'un Néron, d'un Louis XI, d'un Iwan Basiliewitsch, et l'on verra que ces monstres, également insensés et furieux, finirent de la manière du monde