<207>Si quelque habile capitaine de Louis XII reparaissait de nos jours il serait entièrement désorienté : il verrait qu'on fait la guerre avec des armées innombrables, que l'on ne peut souvent pas même faire subsister en campagne à cause de leur nombre, mais que les princes entretiennent pendant la paix comme dans la guerre; au lieu que de son temps, pour frapper les grands coups et pour exécuter les grandes entreprises, une poignée de monde suffisait, qui étaient congédiés dès lors que la guerre était finie. Au lieu de ces vêtements de fer, de ces lances, de ces mousquets, dont il connaissait l'usage, il trouverait des habits d'ordonnance, des fusils et des baïonnettes, des méthodes nouvelles pour faire la guerre, une infinité d'inventions meurtrières pour l'attaque et la défense des places, et l'art de faire subsister des troupes tout aussi nécessaire à présent que le pouvait être autrefois celui de battre l'ennemi.
Mais que ne dirait pas Machiavel lui-même, s'il pouvait voir la nouvelle forme du corps politique de l'Europe, tant de grands princes qui figurent à présent dans le monde, qui n'y étaient pour rien alors, la puissance des rois solidement établie, la manière de négocier des souverains, ces espions privilégiés entretenus mutuellement dans toutes les cours, et cette balance qu'établit en Europe l'alliance de quelques princes considérables pour s'opposer aux ambitieux, qui subsiste par sagesse, qui entretient l'égalité, et qui n'a pour but que le repos du monde!
Toutes ces choses ont produit un changement si général et si universel, qu'elles rendent la plupart des maximes de Machiavel inapplicables à notre politique moderne, et d'aucun usage. C'est ce que fait voir principalement ce chapitre. Je dois en rapporter quelques exemples.
Machiavel suppose, « Qu'un prince dont le pays est étendu, qui avec cela a beaucoup d'argent et de troupes, peut se soutenir par ses propres forces, sans l'assistance d'aucun allié, contre les attaques de ses ennemis. »
C'est ce que j'ose très-modestement contredire; je dis même plus, et j'avance qu'un prince, quelque redoutable qu'il soit, ne saurait lui seul résister à des ennemis puissants, et qu'il lui faut nécessairement le secours de quelque allié. Si le plus grand, le