<21>L'histoire de France nous fournit un exemple qu'il n'est pas possible de lire sans se souvenir du trait de l'histoire ancienne que je viens de citer. On comprend bien que c'est de l'acquisition de l'Alsace et de Strasbourg que je veux parler. Ces États aliénés de l'Allemagne en étaient autrefois comme les Thermopyles, ou comme le boulevard, et la Lorraine, qui vient d'être envahie récemment, répond à la Phocide par rapport à sa situation. Une manière d'envahir si ressemblante à celle du roi Philippe découvre, ce me semble, assez clairement une conformité de dessein parfaite. Philippe ne s'en tint pas aux Thermopyles, il passa outre. Je me rappelle, à cette occasion, ce qu'un sage disait à un roi d'Épire, en voyant les préparatifs immenses qu'on faisait pour la guerre. « Pourquoi, demandait-il à ce prince, amassez-vous toutes ces armes et ce bagage? - Pour conquérir l'Italie, répondit Pyrrhus. - Mais l'Italie conquise, seigneur, où allons-nous? - Alors, cher Cinéas, nous nous rendons maîtres de la Sicile; de là, il ne faut qu'un bon vent, et Carthage tombe entre nos mains; nous traverserons ensuite les déserts de la Libye; l'Arabie et l'Égypte ne pourront nous résister; la Perse et la Grèce seront également assujetties. »a Ce prince n'avait pas de moindre projet que d'établir sa domination sur tout l'univers; son langage était celui de l'ambition, et l'ambition pense et agit toujours de même : je n'en dis pas davantage.

Quant aux Grecs, ils n'envisageaient que d'une manière superficielle les progrès de Philippe, et ils s'imaginaient follement que la mort de ce prince les débarrasserait d'un ennemi dangereux duquel ils avaient tout à craindre. C'est précisément le langage qu'on tient à présent en Europe : on se flatte que la mort de l'habile politique français mettra fin à la politique française, qu'un autre ministre lui succédant, il n'aura pas les mêmes vues, les mêmes desseins. Enfin on s'amuse de petites espérances, qui sont ordinairement les consolations des âmes faibles et des petits génies. Qu'on me permette de rappeler ici le reproche que Démosthène faisait à ses Athéniens dans sa première Philippique. Voici ses paroles : « Philippe est mort, dira l'un. Non, répondra l'autre, mais il est malade .... Eh! qu'il meure ou qu'il vive,  »


a Plutarque, Vie de Pyrrhus.