<219>met souvent le plus habile général hors d'état de donner des marques de sa capacité.
Je finirai ce chapitre après avoir relevé une phrase de Machiavel qui m'a paru très-singulière. « Les Vénitiens, dit-il, se défiant du duc de Carmagnole, qui commandait leurs troupes, furent obligés de le faire sortir de ce monde. »
Je n'entends point, je l'avoue, ce que c'est que d'être obligé de faire sortir quelqu'un de ce monde, à moins que ce ne soit le trahir, l'empoisonner, l'assassiner, en un mot, le faire mettre à mort. C'est ainsi que ce docteur de la scélératesse croit rendre les actions les plus noires et les plus coupables innocentes, en adoucissant les termes.
Les Grecs avaient coutume de se servir de périphrases lorsqu'ils parlaient de la mort, puisqu'ils ne pouvaient pas soutenir sans une secrète horreur tout ce que le trépas a d'épouvantable; et Machiavel périphrase les crimes, puisque son cœur, révolté contre son esprit ne saurait digérer toute crue l'exécrable morale qu'il enseigne.
Quelle triste situation lorsqu'on rougit de se montrer à d'autres tel que l'on est, et lorsque l'on fuit le moment de s'examiner soi-même!