<228>sipe leurs chagrins, et qu'en temps de paix il leur présente les images de la guerre, et qu'un prince apprend, en chassant, les situations du terrain, les passages et, en un mot, tout ce qui regarde un pays.
Si vous me disiez que la chasse est une passion, je vous plaindrais de l'avoir préalablement à une autre, je vous excuserais même en quelque manière, et je me bornerais simplement à vous conseiller de modérer une passion que vous ne sauriez détruire. Si vous me disiez que la chasse est un plaisir, je répondrais que vous feriez bien d'en user sans excès; car à Dieu ne plaise que je condamne aucun plaisir! Je voudrais plutôt ouvrir, au contraire, toutes les portes de l'âme par lesquelles le plaisir peut venir à l'homme. Mais lorsque vous me dites que la chasse est très-utile et très-bonne, pour cent raisons que vous suggère l'illusion de votre amour-propre et le langage trompeur des passions, je vous réponds que je ne me paye point de vos raisons frivoles, que c'est un fard que vous appliquez sur un vilain visage, pour en cacher la difformité, et que, ne pouvant pas prouver, vous voulez du moins éblouir. A quoi peut servir à la société la longue vie d'un homme oisif et fainéant? Souvenons-nous de ces vers :
Et ne mesurons point au nombre des années
La course des héros.a
Il ne s'agit point qu'un homme traîne jusqu'à l'âge de Mathusalem le fil indolent et inutile de ses jours; mais plus il aura réfléchi, mais plus il aura fait d'actions belles et utiles, et plus il aura vécu.
D'ailleurs, la chasse est de tous les amusements celui qui convient le moins aux princes. Ils peuvent manifester leur magnificence d'une manière beaucoup plus utile pour leurs sujets; et s'il se trouvait que l'abondance du gibier ruinât les gens de la campagne, le soin de détruire ces animaux pourrait très-bien se commettre aux chasseurs. Les princes ne devraient proprement être occupés que du soin de s'instruire, afin d'acquérir d'autant plus de connaissances, et de pouvoir d'autant plus combiner d'idées. Leur profession est de penser bien et juste; c'est à quoi ils devraient tous exercer leur esprit; mais comme les hommes dé-
a Odes de J.-B. Rousseau, livre II, ode X, vers 35 et 36. Voyez t. VII, p. 25.