<233>de notre sang, de la facilité ou de l'embarras de sa circulation, de la force de notre cœur, de la nature de notre bile, de la grandeur de notre estomac, etc. Or, je demande si toutes ces parties de notre corps seront assez dociles pour se conformer aux lois de notre intérêt, et s'il n'est pas plus raisonnable de présumer qu'elles n'en feront rien. Machiavel trouverait, d'ailleurs, beaucoup d'hérétiques qui préféreraient le dieu d'Épicure au dieu de César.
L'unique raison légitime qui puisse engager un être raisonnable à lutter contre les passions qui le flattent, c'est le propre bien qu'il en retire et l'avantage de la société. Les passions avilissent notre nature lorsque nous nous y abandonnons, et elles ruinent notre corps, si nous leur lâchons le frein : il faut les modérer sans les détruire, et les tourner toutes au bien de la société, en les faisant simplement changer d'objet; et quand même nous ne remporterions pas sur elles des batailles rangées, le moindre avantage doit nous suffire à l'envisager comme un commencement de l'empire que nous exerçons sur nous-mêmes.
Je dois encore faire remarquer au lecteur une contradiction très-grossière où Machiavel tombe en ce chapitre. Il a dit dans le commencement, « Qu'il y a si loin de ce que l'on fait à ce qu'on devrait faire, que tout homme qui réglera sa conduite sur l'idée du devoir des hommes, et non pas sur ce qu'ils sont en effet, ne manquera pas de périr. » L'auteur avait peut-être oublié la façon dont il s'exprime dans son sixième chapitre; il dit : « Comme il est impossible d'arriver parfaitement jusqu'au modèle qu'on s'est proposé, il faut qu'un homme sage ne s'en propose jamais que de très-grands, afin que, s'il n'a pas la force de les imiter en tout, il puisse au moins en donner la teinture à ses actions. » Machiavel est à plaindre de l'infidélité de sa mémoire, s'il ne l'est plus encore du peu de connexion et de suite qu'ont ses idées et ses raisonnements.
Machiavel pousse encore plus loin ses erreurs et les maximes de son abominable et fausse sagesse. Il avance qu'il n'est pas possible d'être tout à fait bon dans un monde aussi scélérat et corrompu que l'est le genre humain, sans que l'on périsse. On a dit que si les triangles faisaient un Dieu, il aurait trois côtés; ce