<25>fruit conserve toujours un goût de terroir, et que, né dans un pays libre, il m'est permis de m'énoncer avec une noble hardiesse et avec une sincérité incapable de feindre, que la plupart des hommes ne connaissent point, et qui paraîtra peut-être criminelle à ceux qui, nés dans la servitude, ont été élevés dans l'esclavage.
Après avoir repassé la conduite des politiques de l'Europe, après avoir développé le système des cours selon l'étendue de mes lumières, et fait voir les dangereuses suites de l'ambition de quelques princes, j'ose pousser la sonde plus avant dans la plaie de ce corps politique; je poursuivrai le mal jusque dans ses racines, et je m'efforcerai d'en découvrir les causes les plus cachées. Si mes réflexions ont le bonheur de parvenir aux oreilles de quelques princes, ils y trouveront des vérités qu'ils n'auraient jamais apprises par la bouche de leurs courtisans et de leurs flatteurs; peut-être seront-ils même étonnés de voir ces vérités se placer auprès d'eux sur le trône. Qu'ils apprennent donc que leurs faux principes sont la source la plus empoisonnée des malheurs de l'Europe. Voici l'erreur de la plupart des princes. Ils croient que Dieu a créé exprès, et par une attention toute particulière pour leur grandeur, leur félicité et leur orgueil, cette multitude d'hommes dont le salut leur est commis, et que leurs sujets ne sont destinés qu'à être les instruments et les ministres de leurs passions déréglées. Dès que le principe dont on part est faux, les conséquences ne peuvent être que vicieuses à l'infini; et de là cet amour déréglé pour la fausse gloire, de là ce désir ardent de tout envahir, de là la dureté des impôts dont le peuple est chargé, de là la paresse des princes, leur orgueil, leur injustice, leur inhumanité, leur tyrannie, et tous ces vices qui dégradent la nature humaine. Si les princes se défaisaient de ces idées erronées, et qu'ils voulussent remonter jusqu'au but de leur institution, ils verraient que ce rang dont ils sont si jaloux, que leur élévation n'est que l'ouvrage des peuples; que ces milliers d'hommes qui leur sont commis ne se sont point faits esclaves d'un seul homme afin de le rendre plus formidable et plus puissant; qu'ils ne se sont point soumis à un citoyen pour être les martyrs de ses caprices et les jouets de ses fantaisies : mais qu'ils ont choisi celui d'entre eux qu'ils ont cru le plus juste pour les gouverner, le