<257>d'autant plus, qu'il ne tire son lustre que de sa vertu; et il arrive souvent qu'on méprise des personnes de naissance, lorsqu'elles n'ont rien de grand en elles, ni rien qui réponde à l'idée de leur noblesse.
Revenons à présent à Sévère, dont Machiavel dit, « Qu'il était un lion féroce et un renard rusé. » Sévère avait de grandes qualités; sa fausseté et sa perfidie ne peuvent être approuvées que de Machiavel; il aurait, d'ailleurs, été grand prince, s'il avait été bon. Qu'on remarque, à cette occasion, que Sévère fut gouverné par Plautien son favori, comme Tibère le fut par Séjan, et que ces deux princes ne furent méprisés ni l'un ni l'autre. Comme il arrive très-souvent à l'auteur politique de faire de faux raisonnements, cela lui arrive encore à l'occasion de Sévère; car il dit que la réputation de cet empereur « effaçait la grandeur de ses extorsions, et le mettait à couvert de la haine publique. » Il me semble que ce sont les extorsions et les injustices présentes qui effacent la grandeur d'une réputation présente; c'est au lecteur d'en juger. Si Sévère se soutint sur le trône, il en fut redevable en quelque manière à l'empereur Adrien, qui établit la discipline militaire; et si les empereurs qui suivirent Sévère ne purent se conserver, le relâchement de la discipline par Sévère en fut cause. Sévère commit encore une grande faute en politique : c'est que, par ses proscriptions, beaucoup de soldats de l'armée de Pescennius Niger se retirèrent chez les Parthes, et leur enseignèrent l'art de la guerre; ce qui, ensuite, porta un grand préjudice à l'empire. Un prince prudent doit non seulement penser à son règne, mais doit prévoir pour les règnes suivants les suites funestes de ses fautes présentes.
On ne doit donc pas oublier que Machiavel se trompe beaucoup lorsqu'il croit que du temps de Sévère il suffisait de ménager les soldats pour se soutenir; car l'histoire de ces empereurs le contredit. Dans les temps où nous vivons, il faut qu'un prince traite également bien tous les ordres de ceux à qui il a à commander, sans faire de différences qui causent des jalousies funestes à ses intérêts.
Le modèle de Sévère, proposé par Machiavel à ceux qui s'élèveront à l'empire, est donc tout aussi mauvais que celui de Marc-