<285>proprement toutes les conjonctures qui ont favorisé les desseins de cet ambitieux. Ce que l'on entend par l'infortune de Caton, ce sont les malheurs inopinés qui lui arrivèrent, ces contre-temps où les effets suivirent si subitement les causes, que sa prudence ne put ni les prévoir ni les contrecarrer.
Ce qu'on entend par le hasard ne saurait mieux s'expliquer que par le jeu des dés. Le hasard, dit-on, a fait que mes dés ont porté plutôt douze que sept. Pour décomposer ce phénomène physiquement, il faudrait avoir attention à bien des choses, comme sont la manière dont on a fait entrer les dés dans le cornet, les mouvements de la main plus ou moins forts, plus ou moins réitérés qui les font tourner dans le cornet, et qui impriment aux dés un mouvement plus vif ou plus lent lorsqu'on les chasse sur la table. Ce sont ces causes que je viens d'indiquer qui, prises ensemble, s'appellent le hasard. Un examen de cette nature, où il faut beaucoup de discussion, demande un esprit philosophique et attentif; mais comme ce n'est pas le fait de tout le monde que d'approfondir les matières, on aime mieux s'épargner cette peine. J'avoue qu'on en est quitte à meilleur marché lorsqu'on se contente d'un nom qui n'a aucune réalité; de là vient que de tous les dieux du paganisme la fortune et le hasard sont les seuls qui nous sont restés. Cela n'est pas tant mauvais, car les imprudents rejettent tous la cause de leur malheur sur la contrariété de la fortune, autant que ceux qui parviennent dans le monde sans mérite éminent érigent l'aveugle destin en divinité dont la sagesse et la justice sont admirables.
Tant que nous ne serons que des hommes, c'est-à-dire, des êtres très-bornés, nous ne serons jamais tout à fait supérieurs à ce qu'on appelle les coups de la fortune. Nous devons ravir ce que nous pouvons, par la sagesse et la prudence, au hasard et à l'événement; mais notre vue est trop courte pour tout apercevoir, et notre esprit trop étroit pour tout combiner. Quoique nous soyons faibles, à la vérité, ce n'est pas une raison pour négliger le peu de forces que nous avons; tout au contraire, il faut en tirer le meilleur usage que l'on peut, et ne point dégrader notre être en nous mettant au niveau des brutes, puisque nous ne sommes pas des dieux. Effectivement il ne faudrait pas moins