<286>aux hommes que la toute-science divine pour combiner une infinité de causes cachées, et pour connaître jusqu'au plus petit ressort des événements, afin de tirer, par leur moyen, de justes conjectures pour l'avenir.
Voici deux événements qui feront voir clairement qu'il est impossible à la sagesse humaine de tout prévoir. Le premier événement est celui de la surprise de Crémone par le prince Eugène, entreprise concertée avec toute la prudence imaginable, et exécutée avec une valeur infinie. Voici comment ce dessein échoua : le prince s'introduisit dans la ville, vers le matin, par un canal à immondices que lui ouvrit un curé avec lequel il était en intelligence; il se serait infailliblement rendu maître de la place, si deux choses qu'il ne pouvait imaginer ne fussent arrivées. Premièrement, un régiment suisse qui devait exercer le même matin se trouva sous les armes, et lui fit résistance jusqu'à ce que le reste de la garnison s'assemblât. En second lieu, le guide qui devait mener le prince de Vaudemont à une autre porte de la ville, dont ce prince devait s'emparer, manqua le chemin, ce qui fit que ce détachement arriva trop tard. Je crois que la prêtresse de Delphes écumant de fureur sur son trépied sacré n'aurait prévu ces accidents par aucun secret de son art.
Le second événement dont j'ai voulu parler est celui de la paix particulière que les Anglais firent avec la France vers la fin de la guerre de succession. Ni les ministres de l'empereur Joseph, ni les plus grands philosophes, ni les plus habiles politiques n'auraient pu soupçonner qu'une paire de gants changerait le destin de l'Europe; cela arriva cependant au pied de la lettre, comme on pourra le voir.
Mylady Marlborough exerçait la charge de grande maîtresse de la reine Anne à Londres, tandis que son époux faisait dans les campagnes de Brabant une double moisson de lauriers et de richesses. Cette duchesse soutenait par sa faveur le parti du héros, et le héros soutenait le crédit de son épouse par ses victoires. Le parti des torys, qui leur était opposé, et qui souhaitait la paix, ne pouvait rien, tandis que cette duchesse était toute-puissante auprès de la Reine. Elle perdit cette faveur par une cause assez légère : la Reine avait commandé des gants auprès de sa gantière,