<294>pénétration, et que tout se découvre par la force de leur raisonnement.
Les souverains ne devraient se servir des ruses et des finesses que de la manière dont une ville nouvellement investie se sert des feux d'artifice, simplement pour découvrir les desseins de leurs ennemis. D'ailleurs, s'ils font sincèrement profession de probité, ils se concilieront infailliblement la confiance de l'Europe; ils seront heureux sans fourberie, et puissants par leur seule vertu. La paix et le bonheur d'un pays est le but naturel des négociations; c'est un centre où les chemins différents de la politique doivent tous se réunir.
La tranquillité de l'Europe se fonde principalement sur le maintien de ce sage équilibre par lequel la force supérieure de quelques souverains est contre-balancée par les forces réunies de quelques autres puissances. Si cet équilibre vient à manquer, il est à craindre qu'une révolution générale n'arrive, et qu'une nouvelle monarchie ne s'établisse sur les débris des princes que leur désunion rend faibles et impuissants.
La politique des princes de l'Europe semble donc exiger d'eux qu'ils ne perdent jamais de vue les négociations, les traités et les alliances par lesquels ils peuvent établir l'égalité entre les princes les plus formidables, et qu'ils évitent avec soin tout ce qui peut semer entre eux la zizanie et la désunion, comme leur étant tôt ou tard mortel. Une certaine prédilection pour une nation, une aversion pour une autre, des préjugés de femme, des querelles particulières, de petits intérêts, des minuties, ne doivent jamais éblouir les yeux de ceux qui gouvernent des peuples entiers. Il faut qu'ils visent au grand, et qu'ils sacrifient sans balancer la bagatelle au principal. Les grands princes se sont toujours oubliés eux-mêmes pour ne songer qu'au bien commun, s'entend qu'ils se sont soigneusement sevrés de toute prévention, pour mieux embrasser leurs véritables intérêts. L'éloignement que témoignèrent les successeurs d'Alexandre à se réunir contre les Romains était semblable à l'aversion qu'ont quelques personnes contre une saignée, dont l'omission peut les faire tomber dans une fièvre chaude ou leur causer un vomissement de sang, après quoi les remèdes ne sont souvent plus applicables. Ainsi l'impartialité et