<295>un esprit débarrassé de préjugés est aussi nécessaire en politique qu'en justice : dans l'une, pour se conduire sans cesse selon que le veut la sagesse; dans l'autre, pour ne jamais léser l'équité.

Le monde serait bien heureux, si l'on n'avait d'autres moyens que celui de la négociation pour maintenir la justice et pour rétablir la paix parmi les nations. On emploierait les arguments au lieu d'armes, et l'on s'entre-disputerait au lieu de s'entr'égorger. Une fâcheuse nécessité oblige les princes d'avoir recours à une voie beaucoup plus cruelle, plus funeste et plus odieuse; il y a des occasions où il faut défendre par les armes la liberté des peuples qu'on veut opprimer par injustice, où il faut obtenir par la violence ce que l'iniquité des hommes refuse à la douceur, et où les souverains, nés arbitres de leurs démêlés, ne sauraient les vider qu'en mesurant leurs forces et commettant leur cause au sort des batailles. C'est en des cas pareils que ce paradoxe devient véritable, qu'une bonne guerre donne et affermit une bonne paix.

Examinons à présent en quelle occasion les souverains peuvent entreprendre des guerres sans avoir à se reprocher le sang de leurs sujets répandu, ou sans nécessité, ou pour leur vanité et leur orgueil.

De toutes les guerres, les plus justes, et dont on peut le moins se dispenser, sont les défensives, lorsque les hostilités de leurs ennemis obligent les souverains à prendre de justes mesures pour se maintenir contre leurs attaques, et qu'ils sont dans la nécessité de repousser la violence par la violence. La force de leurs bras les soutient contre la cupidité de leurs voisins, et la valeur de leurs troupes garantit la tranquillité de leurs sujets; et de même qu'il est juste de chasser un voleur lorsqu'on le trouve intentionné de commettre un larcin dans votre maison, ainsi est-ce un acte de la justice des grands et des rois de contraindre, par la voie des armes, les usurpateurs de sortir de leurs États. Les guerres que les souverains font pour le maintien de certains droits ou de certaines prétentions qu'on leur veut disputer, ne sont pas moins justes que les premières dont nous venons de parler. Comme il n'y a point de tribunaux supérieurs aux rois, et nul magistrat dans le monde qui juge de leurs différends, c'est aux combats à