<38>considérons par parties, et que nous faisons abstraction du tout. Nous jugerons bien de cette partie, mais nous nous tromperons considérablement sur la totalité. Pour arriver à la connaissance d'une vérité importante, il faut auparavant avoir fait une provision préliminaire de vérités simples qui conduisent ou qui servent d'échelons pour atteindre à la vérité composée qu'on cherche; c'est encore ce qui nous manque. Je ne parle point des conjectures, je parle des vérités évidentes, certaines et irrévocables. A prendre les choses dans un sens philosophique, nous ne connaissons rien du tout; nous nous doutons de certaines vérités, nous nous en formons une notion vague, et nous modifions par les organes de la voix de certains sons que nous appelons des termes scientifiques, dont le résonnement contente nos oreilles, que notre esprit croit comprendre, et qui, bien pris, n'offrent à l'imagination que des idées confuses et embrouillées; de sorte que notre philosophie se réduit à l'habitude que nous nous faisons de nous servir d'expressions obscures, de termes que nous ne comprenons guère, et à une profonde méditation sur des effets dont les causes nous restent bien inconnues et bien cachées. L'amas pitoyable de ces rêveries est honoré du beau nom d'excellente philosophie, que l'auteur annonce avec l'arrogance d'un charlatan, comme la découverte la plus rare et la plus utile au genre humain. La curiosité vous pousse-t-elle à vous informer de cette découverte, vous croyez trouver des choses : quelle injustice de vous y attendre! Non, cette découverte si rare, si précieuse, ne consiste que dans la composition d'un nouveau mot plus barbare qu'aucun de ceux qui ont jamais paru; ce nouveau mot, selon notre charlatan, explique merveilleusement certaine vérité ignorée, et vous la montre plus brillante que le jour. Voyez, examinez, dépouillez son idée de l'appareil des termes qui la couvraient, il ne vous en reste rien; même obscurité, mêmes ténèbres. C'est une décoration qui disparaît, et qui détruit avec soi les prestiges de l'illusion.
La véritable connaissance de la vérité doit être bien différente de celle que je viens de vous présenter : il faudrait pouvoir indiquer toutes les causes; il faudrait, en remontant jusqu'aux premiers principes, les connaître et en développer l'essence. C'est ce que Lucrèce sentait bien, et ce qui faisait dire à ce poëte philo-