<42>ment où la vérité est de nos yeux, le petit nombre des connaissances, la faiblesse et l'insuffisance de notre esprit, et les préjugés de l'éducation. - A merveille, Philante, vous avez une mémoire toute divine, et si Dieu et la nature daignaient former un mortel capable d'embrasser leurs sublimes vérités, ce serait assurément vous, qui unissez à cette mémoire vaste un esprit vif et un jugement solide. - Trêve de compliments, reprit Philante; j'aime mieux des raisonnements philosophiques que vos louanges; il ne s'agit point ici de faire mon panégyrique, mais il s'agit de faire amende honorable au nom de l'orgueil de tous les savants, et de faire un humble aveu de notre ignorance. - Je vous seconderai merveilleusement, Philante, lorsqu'il faudra mettre au jour notre profonde et crasse ignorance; j'en fais très-volontiers l'aveu; je vais même jusqu'au pyrrhonisme, et je trouve qu'on fait bien de n'avoir qu'une foi équivoque pour ce que nous appelons les vérités d'expérience. Vous voilà en bon chemin, Philante. Le scepticisme ne vous convient point mal. Pyrrhon, au Lycée, n'aurait pas autrement parlé que vous. Je vous avoue, lui dis-je, que je suis un peu académicien; je considère les choses de tous les côtés; je doute et je suis indéterminé : c'est l'unique moyen de se garantir de l'erreur. Ce scepticisme ne me fait pas marcher à pas de géant, à pas d'Homère, vers la vérité; mais aussi me sauve-t-il des embûches des préjugés.

- Et pourquoi craignez-vous l'erreur, repartit Philante, vous qui en faites si bien l'apologie? - Hélas! lui dis-je, il y a telle erreur dont la douceur est préférable à la vérité; ces erreurs vous remplissent d'idées agréables; elles vous comblent de biens que vous n'avez point, et dont vous ne jouirez jamais; elles vous soutiennent dans vos adversités; et, dans la mort même, près de perdre tous vos biens et votre vie, elles vous font encore voir, comme dans une perspective, des biens préférables à ceux que vous perdez, et des torrents de volupté dont les délices sont capables d'adoucir la mort même, et de la rendre aimable, s'il était possible. Je me rappelle, à ce propos, l'histoire qu'on m'a contée d'un fou; peut-être vous dédommagera-t-elle de mon long et didactique raisonnement. - Mon silence, me dit Philante, vous fait assez comprendre que je vous écoute avec plaisir, et que je