<53>rendre respectables des objets qui ne le sont guère par eux-mêmes, et de fournir des preuves de crédibilité capables de séduire.
Toutes les allégories qu'on trouve dans ce poëme sont nouvelles. Il y a la Politique qui habite au Vatican, le temple de l'Amour, la vraie Religion, les Vertus, la Discorde, tous les Vices; tout vit, tout est animé par le pinceau de M. de Voltaire; ce sont autant de tableaux qui surpassent, au jugement des connaisseurs, tout ce qu'a produit le crayon habile du Carrache et du Poussin.
Il me reste à présent à parler de la poésie du style, de cette partie qui caractérise proprement le poëte. Jamais la langue française n'eut autant de force que dans la Henriade; on y trouve partout de la noblesse. L'auteur s'élève avec un feu infini jusqu'au sublime, et il ne s'abaisse qu'avec grâce et dignité. Quelle vivacité dans les peintures, quelle force dans les caractères et dans les descriptions, et quelle noblesse dans les détails! Le combat du jeune Turennea doit faire en tout temps l'admiration des lecteurs. C'est dans cette peinture de l'escrime, dans ces coups portés, parés, rendus et reçus, que M. de Voltaire a trouvé principalement des obstacles dans le génie de sa langue; il s'en est cependant tiré avec toute la gloire possible; il transporte le lecteur sur le champ de bataille, et il vous semble plutôt voir un combat qu'en lire la description en vers.
Quant à la saine morale, quant à la beauté des sentiments, on trouve dans ce poëme tout ce qu'on peut désirer. La valeur prudente de Henri IV, ainsi que sa générosité et son humanité, devraient servir d'exemple à tous les rois et à tous les héros, qui se piquent quelquefois mal à propos de dureté et de brutalité envers ceux que le destin des États ou le sort de la guerre a soumis à leur puissance; qu'il leur soit dit en passant que ce n'est point dans l'inflexibilité ni dans la tyrannie que consiste la vraie grandeur, mais bien dans ces sentiments que l'auteur exprime avec tant de noblesse :
Amitié, don du ciel, plaisir des grandes âmes;
Amitié, que les rois, ces illustres ingrats,
Sont assez malheureux pour ne connaître pas!b
a Chant X, v. 107.
b Chant VIII, v. 322-324.