CHAPITRE II.
Les hommes ont un certain respect pour tout ce qui est ancien, qui va jusqu'à la superstition; et quand le droit d'héritage se joint à ce pouvoir que l'antiquité a sur les hommes, il n'y a point de joug plus fort et qu'on porte plus aisément. Ainsi je suis loin de contester à Machiavel ce que tout le monde lui accordera, que les royaumes héréditaires sont les plus aisés à gouverner.
J'ajouterai seulement que les princes héréditaires sont fortifiés dans leur possession par la liaison intime qui est entre eux et les plus puissantes familles de l'État, dont la plupart sont redevables de leurs biens ou de leur grandeur à la maison souveraine, et dont la fortune est si inséparable de celle du prince, qu'ils ne peuvent la laisser tomber sans voir que leur chute en serait la suite certaine et nécessaire.
De nos jours, les troupes nombreuses et les armées puissantes que les princes tiennent sur pied en paix comme en guerre contribuent encore à la sûreté des États : elles contiennent l'ambition des princes voisins; ce sont des épées nues qui tiennent celles des autres dans le fourreau.
Mais ce n'est pas assez que le prince soit, comme dit Machiavel, di ordinaria industria; je voudrais encore qu'il songeât à rendre son peuple heureux. Un peuple content ne songera pas à se révolter, un peuple heureux craint plus de perdre son prince, qui est en même temps son bienfaiteur, que ce souverain même ne peut appréhender pour la diminution de sa puissance. Les Hollandais ne se seraient jamais révoltés contre les Espagnols, si