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CHAPITRE IX.

Il n'y a point de sentiment plus inséparable de notre être que celui de la liberté; depuis l'homme le plus policé jusqu'au plus barbare, tous en sont pénétrés également; car, comme nous naissons sans chaînes, nous prétendons vivre sans contrainte. C'est cet esprit d'indépendance et de fierté qui a produit tant de grands hommes dans le monde, et qui a donné lieu aux gouvernements républicains, lesquels établissent une espèce d'égalité entre les hommes, et les rapprochent d'un état naturel.

Machiavel donne, en ce chapitre, de bonnes maximes de politique à ceux qui s'élèvent à la puissance suprême par le consentement des chefs d'une république; voilà presque le seul cas où il permette d'être honnête homme, mais malheureusement ce cas n'arrive presque jamais. L'esprit républicain, jaloux à l'excès de sa liberté, prend ombrage de tout ce qui peut lui donner des entraves, et se révolte contre la seule idée d'un maître. On connaît dans l'Europe des peuples qui ont secoué le joug de leurs tyrans pour jouir de l'indépendance; mais on n'en connaît point qui, de libres qu'ils étaient, se soient assujettis à un esclavage volontaire.

Plusieurs républiques sont retombées, par la suite des temps, sous le despotisme; il paraît même que ce soit un malheur inévitable, qui les attend toutes. Car, comment une république résisterait-elle éternellement à toutes les causes qui minent sa liberté? Comment pourrait-elle contenir toujours l'ambition des grands qu'elle nourrit dans son sein? Comment pourrait-elle à la longue veiller sur les séductions et les sourdes pratiques de ses voisins, et sur la corruption de ses membres, tant que l'intérêt sera tout-<92>puissant chez les hommes? Comment peut-elle espérer de sortir toujours heureusement des guerres qu'elle aura à soutenir? Comment pourra-t-elle prévenir ces conjonctures fâcheuses pour sa liberté, ces moments critiques et décisifs, et ces hasards qui favorisent les corrompus et les audacieux? Si les troupes sont commandées par des chefs lâches et timides, elle deviendra la proie de ses ennemis; et si elles ont à leur tête des hommes vaillants et hardis, ils seront dangereux dans la paix, après avoir servi dans la guerre.

Les républiques se sont presque toutes élevées de l'abîme de la tyrannie au comble de la liberté, et elles sont presque toutes retombées de cette liberté dans l'esclavage. Ces mêmes Athéniens qui, du temps de Démosthène, outrageaient Philippe de Macédoine, rampèrent devant Alexandre; ces mêmes Romains qui abhorraient la royauté après l'expulsion des rois, souffrirent patiemment, après la révolution de quelques siècles, toutes les cruautés de leurs empereurs; et ces mêmes Anglais qui mirent à mort Charles Ier parce qu'il empiétait sur leurs droits, plièrent la roideur de leur courage sous la puissance altière de leur protecteur. Ce ne sont donc point ces républiques qui se sont donné des maîtres par leur choix, mais des hommes entreprenants qui, aidés de quelques conjonctures favorables, les ont soumises contre leur volonté.

De même que les hommes naissent, vivent un temps, et meurent par maladies ou par l'âge, de même les républiques se forment, fleurissent quelques siècles, et périssent enfin par l'audace d'un citoyen ou par les armes de leurs ennemis. Tout a son période, tous les empires et les plus grandes monarchies même n'ont qu'un temps; les républiques sentent toutes que ce temps arrivera, et elles regardent toute famille trop puissante comme le germe de la maladie qui doit leur donner le coup de la mort.

On ne persuadera jamais à des républicains vraiment libres de se donner un maître, je dis le meilleur maître; car ils vous diront toujours : Il vaut mieux dépendre des lois que du caprice d'un seul homme.