<106>du masque de la vertu; leur cœur rejette la fausse estime dont ils jouissent, et ils se condamnent eux-mêmes en secret au dernier mépris, qu'ils méritent.
DEMANDE. C'est à savoir, si vous étiez dans ce cas, si vous feriez ces réflexions.
RÉPONSE. Pourrais-je étouffer la voix de la conscience et celle des remords vengeurs? Cette conscience est comme un miroir; quand nos passions sont calmes, elle nous représente toutes nos difformités; je m'y suis vu innocent, et je m'y verrais coupable. Hélas! je deviendrais à mes propres yeux un objet d'horreur. Non, je ne m'exposerai jamais de ma propre volonté à cette humiliation, à cette douleur, à ce tourment.
DEMANDE. Il y a cependant des concussions et des rapines que la guerre semble autoriser.
RÉPONSE. La guerre est un métier de gens d'honneur quand des citoyens exposent leurs jours pour le service de leur patrie. Mais si l'intérêt s'en mêle, ce noble métier dégénère en pur brigandage.
DEMANDE. Eh bien, si vous n'êtes point intéressé, au moins aurez-vous de l'ambition; vous voudrez vous pousser, et commander à vos semblables.
RÉPONSE. Je distingue beaucoup l'ambition de l'émulation. Souvent cette première passion donne dans des excès, et touche de près au vice; mais l'émulation est une vertu qu'il faut rechercher : elle nous porte, sans jalousie, à surpasser nos concurrents en nous acquittant mieux de nos devoirs qu'ils ne font; elle est l'âme des plus belles actions tant militaires que civiles; elle désire de briller, mais elle ne veut devoir son élévation qu'à la seule vertu jointe à la supériorité des talents.
DEMANDE. Mais si en rendant mauvais office à quelqu'un, c'était le moyen de parvenir à un poste éminent, ne trouveriez-vous pas cet expédient plus court?
RÉPONSE. Le poste pourrait tenter ma cupidité, j'en conviens; toutefois je ne consentirais jamais à devenir assassin pour y parvenir.
DEMANDE. Qu'appelez-vous devenir assassin?