<116>république des Grecs et la république romaine m'ont prévenu en faveur de la discipline des anciens, et je me suis convaincu qu'en suivant leur méthode on formerait une nation qui aurait plus de mœurs et de vertu que n'ont nos peuples modernes. L'éducation qu'on donne à la noblesse est certainement répréhensible d'un bout de l'Europe à l'autre. Dans ce pays-ci, elle en reçoit la première teinture dans la maison paternelle, la seconde dans les académies et les universités, la troisième, elle se la donne elle-même, parce qu'on l'émancipe trop tôt, et c'est la plus mauvaise. Dans la maison paternelle, l'amour aveugle des parents nuit à la correction nécessaire de leurs enfants; les mères surtout, ce qui soit dit en passant, gouvernant assez despotiquement leurs maris, ne connaissent qu'une indulgence sans bornes pour tout principe d'éducation. On abandonne les enfants entre les mains des domestiques, qui les flattent, qui les corrompent en leur inspirant des maximes pernicieuses, maximes qui ne germent que trop par les profondes impressions qu'elles font sur des cerveaux encore tendres. Le mentor qu'on leur choisit est d'ordinaire, ou un candidat en théologie, ou un apprenti jurisconsulte, espèce de gens qui auraient le plus grand besoin d'être morigénés eux-mêmes. Sous ces habiles docteurs, le jeune Télémaque apprend son catéchisme, le latin, à toute force un peu de géographie, la langue française par l'usage. Père et mère applaudissent au chef-d'œuvre qu'ils ont mis au monde, et, de crainte que le chagrin ne flétrisse la santé de ce phénix, personne n'ose le reprendre. A dix ou douze ans le jeune seigneur est envoyé à l'académie, dont on ne manque pas ici. Il y en a plusieurs, comme le Joachim, la nouvelle académie de Berlin,a celle du dôme de Brandebourg, et celle de Cloître-Bergue à Magdebourg; elles sont fournies de professeurs habiles. Le seul reproche qu'on peut leur faire est peut-être qu'ils s'appliquent uniquement à remplir la mémoire de leurs élèves, qu'ils ne les accoutument pas à penser par eux-mêmes, qu'on n'exerce pas d'assez bonne heure leur jugement, qu'on néglige de leur élever l'âme et de leur inspirer des sentiments nobles et vertueux.
Le jeune homme n'a pas mis le pied au delà du seuil de l'aca-
a L'Académie des nobles, fondée eu 1765. Voyez ci-dessus, p. 89.