<120>prendre; pour l'ordinaire, le hasard détermine ce choix. La plupart de ces jeunes seigneurs craignent l'état militaire, parce qu'il est dans ce pays une véritable école de mœurs; on ne passe rien aux jeunes officiers, on les oblige d'avoir une conduite sage, réglée et décente; ils sont éclairés de près, ils ont des surveillants qui ne les épargnent pas; s'ils sont incorrigibles, à quelque appui qu'ils tiennent d'ailleurs, on les oblige à quitter, et dès lors il n'y a plus pour eux de considération à attendre. C'est précisément ce qui leur répugne, car ils voudraient, à l'ombre d'un grand nom, se livrer sans contrainte aux caprices de leur fantaisie et au déréglement de leurs mœurs; d'où il vient que peu d'enfants des premières maisons servent dans les armées. Le corps des cadets y supplée; cette pépinière est confiée aux soins d'un officier d'un grand mérite,a qui place le bonheur de sa vie à former cette jeunesse en présidant à son éducation, en lui élevant l'âme, en lui inculquant des principes de vertu, et en s'efforçant de les rendre utiles à la patrie. Cet établissement étant destiné pour la pauvre noblesse, les premières familles n'y placent pas leurs enfants. Si le père fait entrer son fils dans les finances ou dans la justice, dès ce moment il le perd de vue, il est abandonné à lui-même, et le hasard décide du pli qu'il prendra. Souvent, au sortir des universités, on établit l'héritier sur ses terres, où tout ce qu'il a pu apprendre lui devient autant qu'inutile. Voilà en gros la marche qu'on tient pour l'éducation de la jeunesse. Voici le mal qui en résulte.

La mollesse de cette première éducation rend les jeunes gens efféminés, commodes, paresseux et lâches. Au lieu de ressembler à la race des anciens Germains, on les prendrait pour une colonie de Sybaris transplantée dans cette contrée; ils croupissent dans l'oisiveté et dans la fainéantise; ils pensent qu'ils ne sont au monde que pour avoir du plaisir et des commodités, et que des hommes comme eux sont dispensés du devoir d'être utiles à la société; de là ces écarts, ces folies, ces dettes qu'ils contractent, ces débauches, ces prodigalités qui ont ruiné dans ce pays tant de familles opulentes. J'avoue que ces défauts tiennent autant à l'âge qu'à l'éducation; je conviens que la jeunesse se ressemble


a Le lieutenant-général de Buddenbrock. Voyez ci-dessus, p. 97.