<135>paroles indiscrètes auraient tellement augmenté la terreur du peuple, qu'il aurait abandonné Rome comme après la perte de la bataille de l'Allia, et c'en aurait été fait de la république. Le sénat, plus sage, en dissimulant cette infortune, ranima le peuple à la défense de la patrie, il recruta l'armée, il continua la guerre, et à la fin les Romains triomphèrent des Carthaginois. Il paraît donc constant qu'il faut dire la vérité avec discrétion, jamais mal à propos, et choisir surtout le temps qui lui est le plus convenable.
Si je voulais relancer l'auteur partout où je crois m'apercevoir de quelque inexactitude, je pourrais l'attaquer sur la définition qu'il nous donne du mot paradoxe. Il prétend que ce mot signifie toute opinion qui n'a pas été adoptée, mais qui peut être reçue; au lieu que l'idée ordinaire attachée à ce mot est celle d'une opinion contraire à quelque vérité d'expérience. Je ne m'arrête point à cette bagatelle; mais je ne saurais m'empêcher d'avertir ceux qui prennent le nom de philosophes que leurs définitions doivent être justes, et qu'ils ne doivent se servir des mots que dans leur acception ordinaire.
J'en viens à présent au but de l'auteur. Il ne le déguise point, il donne assez clairement à entendre qu'il en veut aux superstitions religieuses de son pays, qu'il se propose d'en abolir le culte, pour élever sur ses ruines la religion naturelle, en admettant une morale dégagée de tout accessoire incohérent. Ses intentions paraissent pures : il ne veut point que le peuple soit trompé par des fables, que les imposteurs qui les débitent en tirent tout l'avantage, comme les charlatans des drogues qu'ils vendent; il ne veut point que ces imposteurs gouvernent le vulgaire imbécile, qu'ils continuent à jouir du pouvoir dont ils abusent contre le prince et contre l'État; il veut, en un mot, abolir le culte établi, dessiller les yeux de la multitude, et lui aider à secouer le joug de la superstition. Ce projet est grand; reste à examiner s'il est praticable, et si l'auteur s'y est bien pris pour réussir.
Cette entreprise paraîtra impraticable à ceux qui ont bien étudié le monde, et qui ont fouillé dans le cœur humain. Tout s'y oppose, l'opiniâtreté avec laquelle les hommes sont attachés à leurs opinions habituelles, leur ignorance, leur incapacité de