<141>pays que ne l'imagine un rêveur spéculatif qui n'a que des idées théoriques d'un monde qu'il n'a jamais connu. Le mérite n'est pas récompensé, c'est une plainte de tout pays; tout présomptueux peut dire : J'ai du génie et des talents, le gouvernement ne me distingue pas; donc il manque de sagesse, de discernement et de justice.

Notre philosophe ensuite s'échauffe dans son harnois, en traitant un sujet qui l'intéresse plus directement. Il paraît excessivement irrité de ce qu'on préfère, dans sa patrie, les apôtres du mensonge à ceux de la vérité. On le prie de faire quelques légères réflexions, peut-être indignes de l'impétuosité de son génie, mais toutefois capables d'apaiser sa colère. Qu'il se rappelle que le clergé forme un corps considérable dans l'État, et que les philosophes sont des particuliers isolés. Qu'il se souvienne de ce qu'il a dit lui-même, que ce clergé puissant par l'autorité qu'il a su prendre sur le peuple, s'étant rendu redoutable au souverain, doit être ménagé à raison de son pouvoir. Il faut donc bien, par la nature des choses, que ce clergé jouisse de prérogatives et de distinctions plus marquées qu'on n'en accorde communément à ceux qui par état ont renoncé à toute ambition, et qui, au-dessus des vanités humaines, méprisent ce que le vulgaire désire avec tant d'empressement. Notre philosophe ignore-t-il que c'est le peuple superstitieux qui enchaîne le monarque jusque sur le trône? C'est le peuple qui le contraint à ménager ces prêtres récalcitrants et factieux, ce clergé qui veut établir statum in statu, et qui est encore capable de reproduire des scènes aussi tragiques que celles qui terminèrent les jours de Henri III et du bon roi Henri IV. Le prince ne peut toucher au culte établi qu'avec dextérité et délicatesse. S'il en veut à l'édifice de la superstition, il faut qu'il y aille à la sape; mais il risquerait trop, s'il entreprenait de l'abattre ouvertement. Lorsqu'il arrive par hasard que des philosophes écrivent sur le gouvernement sans connaissance et sans circonspection, les politiques les prennent en pitié, et les renvoient aux premiers éléments de leur science. Il faut se défier des spéculations théoriques, elles ne soutiennent pas le creuset de l'expérience. La science du gouvernement est une science à part; pour en parler congrûment, il faut en avoir fait une longue étude. Ou l'on