<142>s'égare, ou l'on propose des remèdes pires que le mal dont on se plaint; et il peut arriver qu'avec beaucoup d'esprit on ne dise que des sottises.
Voici une autre déclamation contre l'ambition des princes. Notre auteur est hors de lui-même, il ne ménage plus les termes; il accuse les souverains d'être les bouchers de leurs peuples et de les envoyer égorger à la guerre pour divertir leur ennui. Sans doute qu'il s'est fait des guerres injustes, qu'il y a eu du sang répandu qu'on aurait dû et qu'on aurait pu ménager. Cela n'empêche pas qu'il n'y ait plusieurs cas où les guerres sont nécessaires, inévitables et justes. Un prince doit défendre ses alliés quand ils sont attaqués. Sa propre conservation l'oblige à maintenir par les armes l'équilibre du pouvoir entre les puissances de l'Europe. Son devoir est de défendre ses sujets contre les invasions des ennemis; il est très-autorisé à soutenir ses droits, des successions qu'on lui dispute, ou autres choses pareilles, en repoussant l'injustice qu'on lui fait, par la force. Quel arbitre ont les souverains? Qui sera leur juge? Comme donc ils ne peuvent plaider leur cause devant aucun tribunal assez puissant pour prononcer leur sentence et la mettre en exécution, ils rentrent dans les droits de la nature, et c'est à la force d'en décider. Crier contre de telles guerres, injurier les souverains qui les font, c'est marquer plus de haine pour les rois que de commisération et d'humanité pour les peuples qui en souffrent indirectement. Notre philosophe approuverait-il un souverain qui, par pusillanimité, se laisserait dépouiller de ses États, qui sacrifierait l'honneur, l'intérêt et la gloire de sa nation au caprice de ses voisins, et qui, par d'inutiles efforts pour conserver la paix, se perdrait, lui, son État et ses peuples? Marc-Aurèle, Trajan, Julien furent continuellement en guerre, cependant les philosophes les louent; pourquoi blâment-ils donc les souverains modernes de suivre en cela leur exemple?
Non content d'insulter à toutes les têtes couronnées de l'Europe, notre philosophe s'amuse, en passant, à répandre du ridicule sur les ouvrages de Hugo Grotius. J'oserais croire qu'il n'en sera pas cru sur sa parole, et que le Droit de la guerre et de la pair ira plus loin à la postérité que l'Essai sur les préjugés.