<157>sans cesse à être dévoré par les bêtes féroces. Pour compenser la faiblesse de son corps, et afin que l'espèce ne pérît point, la nature l'a doué d'une intelligence supérieure à celle des autres créatures, avantage par lequel il se procure artificiellement ce que, d'ailleurs, la nature paraît lui avoir refusé. Le plus vil des animaux resserre en son corps un laboratoire plus artistement fabriqué que celui du plus habile chimiste; il prépare les sucs qui renouvellent son être, qui s'assimilent aux parties qui le composent, et qui prolongent son existence. Comment cette organisation merveilleuse et nécessaire à tous les êtres animés pour leur conservation pourrait-elle émaner d'une cause brute, qui opérerait ses plus grandes merveilles sans même s'en apercevoir? Il n'en faut pas tant pour confondre notre philosophe et ruiner son système; l'œil d'un ciron, un brin d'herbe, sont suffisants pour lui prouver l'intelligence de l'ouvrier. Je vais plus loin; je crois même qu'en admettant comme lui une première cause aveugle, on pourrait lui démontrer que la génération des espèces deviendrait incertaine, et dégénérerait au hasard en êtres divers et bizarres. Il n'y a donc que les lois immuables d'une nature intelligente qui, dans cette multitude de productions, puissent maintenir invariablement les espèces dans leur entière intégrité. L'auteur tâche en vain de se faire illusion; la vérité, plus forte que lui, le contraint de dire14 que la nature rassemble dans son laboratoire immense des matériaux pour former de nouvelles productions; elle se propose donc une fin; donc elle est intelligente. Pour peu qu'on soit de bonne foi, il est impossible de se refuser à cette vérité; les objections même tirées du mal physique et du mal moral ne sauraient la renverser : l'éternité du monde détruit cette difficulté. La nature est donc sans contredit intelligente, agissant toujours conformément aux lois éternelles de la pesanteur, du mouvement, de la gravitation, etc., qu'elle ne saurait ni détruire ni changer. Quoique notre raison nous prouve cet être, que nous l'entrevoyions, que nous devinions quelques-unes de ses opérations, jamais nous ne pourrons assez le connaître pour le définir, et tout philosophe qui attaque le fantôme créé par les théologiens combat en effet contre la nue d'Ixion, sans
14 Première partie, chap. VI.