<158>effleurer en aucune façon cet être auquel tout l'univers sert de preuve et de témoignage. On sera sans doute bien étonné qu'un philosophe aussi éclairé que notre auteur s'avise d'accréditer les erreurs anciennes des générations sans germe et par corruption; il cite Needham,a ce médecin anglais qui, trompé par une fausse expérience, crut avoir fait des anguilles. Si de tels faits étaient véritables, ils pourraient convenir aux opérations d'une nature aveugle; mais ils sont démentis par toutes les expériences. Croirait-on bien encore que le même auteur admet un déluge universel? absurdité, miracle inadmissible pour un géomètre, et qui ne peut en aucune façon s'ajuster à son système. Ces eaux qui submergèrent notre globe furent-elles créées exprès? Quelle masse énorme pour s'élever au-dessus des plus hautes montagnes! Furent-elles depuis anéanties? Que devinrent-elles? Quoi! il ferme les yeux pour ne pas voir un être intelligent, présidant à cet univers, que toute la nature lui annonce, et il croit au miracle le plus opposé à la raison qu'on ait jamais imaginé! J'avoue que je ne conçois point comment tant de contradictions ont pu se concilier dans une tête philosophique, et comment en composant son ouvrage l'auteur ne s'en est pas aperçu lui-même. Mais allons plus loin.
Il a presque copié littéralement le système de la fatalité tel que Leibniz l'expose et que Wolff l'a commenté. Je crois, pour bien s'entendre, qu'il faut définir l'idée qu'on attache à la liberté. J'entends par ce mot tout acte de notre volonté qui se détermine par elle-même et sans contrainte. Ne pensez pas qu'en partant de ce principe je me propose de combattre en général et en tout point le système de la fatalité; je ne cherche que la vérité, je la respecte partout où je la trouve, et je m'y soumets quand on me la montre. Pour bien juger de la question, rapportons l'argument principal de l'auteur. Toutes nos idées, dit-il, nous viennent par les sens et par une suite de notre organisation; ainsi toutes nos actions sont nécessaires. On convient avec lui que nous devons tout à nos sens comme à nos organes; mais l'auteur devait s'apercevoir que des idées reçues donnent lieu à des combinaisons nou-
a Jean Turbervill Needham, physicien célèbre par ses observations microscopiques, né à Londres en 1713, mort à Bruxelles le 30 décembre 1781.