<160>qu'on ne s'entend plus soi-même; il est surtout fâcheux pour les partisans du fatalisme que leur vie active se trouve sans cesse en contradiction avec les principes de leur spéculation.

L'auteur du Système de la nature, après avoir épuisé tous les arguments que son imagination lui fournit pour prouver qu'une nécessité fatale enchaîne et dirige absolument les hommes dans toutes leurs actions, devait donc en conclure que nous ne sommes que des espèces de machines, ou, si vous voulez, des marionnettes mues par les mains d'un agent aveugle. Cependant il s'emporte contre les prêtres, contre les gouvernements et contre l'éducation; il croit donc que les hommes qui occupent ces emplois sont libres, en leur prouvant qu'ils sont des esclaves. Quelle absurdité! quelle contradiction! Si tout est mû par des causes nécessaires, les avis, les instructions, les lois, les peines, les récompenses deviennent aussi superflues qu'inutiles; c'est dire à un homme enchaîné : brise tes liens; autant vaudrait-il sermonner un chêne pour le persuader de se transformer en oranger. Mais l'expérience nous prouve que l'on peut parvenir à corriger les hommes; il faut donc de nécessité en conclure qu'ils jouissent au moins en partie de la liberté. Tenons-nous-en aux leçons de cette expérience, et n'admettons point un principe que nous contredisons sans cesse par nos actions.

Du principe de la fatalité résultent les plus funestes conséquences pour la société; en l'admettant, Marc-Aurèle et Catilina, le président de Thou et Ravaillac seraient égaux en mérite. Il ne faudrait considérer les hommes que comme des machines, les unes faites pour le vice, les autres pour la vertu, incapables de mériter ou de démériter par elles-mêmes et par conséquent d'être punies ou récompensées; ce qui sape la morale, les bonnes mœurs et les fondements sur lesquels la société est établie. Mais d'où vient cet amour que généralement tous les hommes ont pour la liberté? Si c'était un être idéal, d'où le connaîtraient-ils? Il faut donc qu'ils en aient fait l'expérience, qu'ils l'aient sentie; il faut donc quelle existe réellement, ou il serait improbable qu'ils pussent l'aimer. Quoi qu'en disent Calvin, Leibniz, les Arminiens et l'auteur du Système de la nature, ils ne persuaderont jamais à personne que nous sommes des roues à moulin qu'une cause né-