<197>l'unique raison qui engagea les hommes à se donner des supérieurs, puisque c'est la vraie origine de la souveraineté. Ce magistrat était le premier serviteur de l'État.a Quand ces sociétés naissantes avaient à craindre de leurs voisins, le magistrat armait le peuple et volait à la défense des citoyens.

Cet instinct général des hommes qui les anime à se procurer le plus grand bonheur possible donna lieu à la formation des différents genres de gouvernement. Les uns crurent qu'en s'abandonnant à la conduite de quelques sages, ils trouveraient ce bonheur; de là le gouvernement aristocratique. D'autres préférèrent l'oligarchie. Athènes et la plupart des républiques grecques choisirent la démocratie. La Perse et l'Orient ployaient sous le despotisme. Les Romains eurent quelque temps des rois; mais lassés des violences des Tarquins, ils tournèrent la forme de leur gouvernement en aristocratie. Bientôt, fatigué de la dureté des patriciens, qui l'opprimaient par des usures, le peuple s'en sépara, et ne retourna à Rome qu'après que le sénat eut autorisé les tribuns que ce peuple avait élus pour le soutenir contre la violence des grands; depuis, il devint presque le dépositaire de l'autorité suprême. On appelait tyrans ceux qui s'emparaient avec violence du gouvernement, et qui, ne suivant que leurs passions et leurs caprices pour guides, renversaient les lois et les principes fondamentaux que la société avait établis pour sa conservation.

Mais quelque sages que fussent les législateurs et les premiers qui rassemblèrent le peuple en corps, quelque bonnes que fussent leurs institutions, il ne s'est trouvé aucun de ces gouvernements qui se soit soutenu dans toute son intégrité. Pourquoi? Parce que les hommes sont imparfaits, et que leurs ouvrages le sont par conséquent; parce que les citoyens, poussés par des passions, se laissent aveugler par l'intérêt particulier, qui toujours bouleverse l'intérêt général; enfin, parce que rien n'est stable dans ce monde. Dans les aristocraties, l'abus que les premiers membres de l'État font de leur autorité est, pour l'ordinaire, cause des révolutions qui s'ensuivent. La démocratie des Romains fut bouleversée par le peuple même; la masse aveuglée de ces plébéiens se laissa corrompre par des citoyens ambitieux qui ensuite les


a Voyez t. I, p. 142, et t. VIII, p. 72, 190 et 335.