DISCOURS SUR LES SATIRIQUES.
Ne sera-t-il jamais donné aux hommes de tenir un juste milieu, et d'écouter la voix de la vertu plutôt que l'ivresse de leurs passions? Leur inclination les porte à tout outrer; ils ne connaissent que les excès; une imagination ardente emporte une tête échauffée au delà de ce qu'elle croyait entreprendre. Il y a cent voies pour s'égarer; ce serait rêver avec Platon de vouloir que les hommes soient parfaits, eux dont l'être n'est qu'un assemblage de faiblesses et de misères. Cependant il y a de certaines pratiques que l'on ne peut voir sans s'indigner, et contre lesquelles tous les hommes devraient s'élever; j'entends deux vices qui, étant des extrêmes, font une opposition parfaite : l'un est cette bassesse que les flatteurs mettent en usage auprès des grands, ces louanges outrées ou non méritées qui déshonorent également celui qui les donne et celui qui les reçoit; l'autre est cette fière et cynique méchanceté des satiriques qui défigurent les mœurs des grands, et dont les cris barbares n'épargnent pas le trône. Les uns empoisonnent l'âme par une liqueur agréable, les autres enfoncent le poignard dans un cœur qu'ils déchirent. Prêter aux vices les couleurs des vertus, déifier les caprices des hommes, justifier d'indignes actions, c'est faire un mal réel, en encourageant ceux qu'un funeste penchant entraîne à continuer de persister dans un aveuglement fatal; prodiguer le mensonge et la calomnie, rendre le mérite douteux, la vertu équivoque, noircir les réputations des personnes, parce qu'elles sont dans des postes éminents, c'est