<46>jamais le mérite, principalement de ceux qui sont très-persuadés d'en avoir beaucoup; ils passent souvent pour avares, parce qu'ils ne contentent pas la cupidité de ceux qui voudraient pouvoir être prodigues; leurs faiblesses sont des crimes, et leurs fautes, car qui n'en fait pas? passent pour des actions inouïes. Voilà, à quelques nuances près, à quoi se réduisent ces libelles, qui ne sont que l'écho d'anciennes accusations toutes aussi injustes; mais ce qui est fâcheux, c'est que le sort de ces admirables ouvrages est d'être lus quand ils sont nouveaux, pour être ensevelis ensuite pour jamais dans un éternel oubli.

Si j'avais un conseil à donner à ces beaux esprits qui s'érigent ainsi en censeurs de personnes respectables, ce serait de prendre à présent un tour nouveau; car, depuis Salomon, injures et louanges, tout a été dit, tout a été épuisé. Qu'ils essayent de se peindre eux-mêmes dans leurs écrits, qu'ils expriment le désespoir que leur cause la prospérité des grands, l'aversion qu'ils ont pour les talents et pour le mérite dont l'éclat les anéantit, qu'ils donnent à l'univers une grande idée des connaissances qu'ils ont dans l'art de régner. Il y a encore des royaumes électifs : peut-être feront-ils fortune et les croira-t-on sur leur parole; au moins leur ingénuité nouvelle épargnerait-elle aux lecteurs l'ennui d'autres atrocités et d'autres impertinences. Si le peuple était sensé, on pourrait se rire des libelles, quels qu'ils fussent; mais ces indignes écrits sont un mal réel, parce que le monde peu instruit, enclin à croire le mal plutôt que le bien, reçoit avidement de mauvaises impressions qu'il est difficile de déraciner; de là naissent des préjugés souvent préjudiciables aux monarques mêmes.

Jamais nations n'ont poussé la satire plus loin que les Anglais et les Français; il n'y a guère d'homme connu dans ces monarchies qui n'ait essuyé quelques éclaboussures en passant. Quelles horreurs n'a-t-on pas publiées du Régent, duc d'Orléans! à quels excès ne s'est-on pas emporté contre Louis XIV même!

Louis XIV ne méritait cependant ni les louanges outrées ni les injures atroces dont il a été accablé. Ce prince avait été élevé dans une ignorance crasse; les amusements de sa première jeunesse furent de servir la messe au cardinal Mazarin; il était né avec du bon sens, sensible à l'honneur, plus vain qu'ambitieux;