<58>ma liberté, mes droits, et la satisfaction intérieure que je trouve à gloser sur toute la terre. - C'est bien dommage, lui dis-je, que vous ne soyez pas venu au monde durant les premiers siècles de l'Église; votre nom aurait éclaté durant les persécutions, il serait à présent dans la légende, et sans doute que votre fête serait chômée. Mais je crains bien qu'il n'en arrive tout autrement que vous ne pensez, et qu'après avoir un temps servi d'instrument aux vengeances sourdes d'illustres envieux, vous ne finissiez tragiquement, sans gagner pour votre nom la célébrité que vous attendez.
Il allait me répondre, lorsque quelqu'un qui avait entendu la fin de notre conversation s'approcha de nous, et s'avisa de lui conter sèchement et avec assez d'indiscrétion la fameuse histoire de la cage de fer où, dit-on, Louis XIV fit enfermer un déclamateur de ce genre qui avait exercé son talent contre ce prince. Notre homme dit qu'il régnait toutes les années des fièvres malignes au printemps, mais que tout le monde n'en mourait pas; que les grands ne connaissaient point la valeur des bons mots; que ce siècle était très-difficile, et qu'il le devenait toujours davantage; que l'on faisait trop peu de cas du mérite et des talents. Mais je m'aperçus que depuis l'histoire de la cage de fer il avait changé de physionomie; en effet, il devint rêveur et taciturne. Comme je le vis si sombre, je le quittai, et l'abandonnai à ses tristes réflexions. Ne peut-on pas conclure de tout cela que, quand même la méchanceté étoufferait les remords, elle n'est jamais sans appréhensions cruelles, et qu'une vie vertueuse est la seule tranquille?