<68>Peut-être encore ces nouveaux législateurs ont-ils voulu nous apprendre que la prose a des règles différentes des nôtres, et en ce cas nous les remercions de la profondeur et de la nouveauté de la remarque dont ils daignent nous honorer. Cependant il me souvient d'en avoir ouï parler quelque part, et, si je ne me trompe, car je ne suis pas infaillible, c'est un larcin que, tout géomètres qu'ils sont, ils ont fait à Vaugelas.a Or, je leur demande si c'est un vice à la poésie d'être supérieure à la prose; si une cadence d'un air de trois temps sera réputée mauvaise parce qu'elle ne peut pas entrer dans un air de quatre temps. Heureusement que nous ne raisonnons pas ainsi, ou, comme on saurait bien nous le reprocher, que nous ne sommes pas géomètres, et que nous ne savons ce que c'est que l'esprit philosophique. Pour eux, ils ont le privilége d'avancer autant de paradoxes qu'il leur plaît. Tout sophisme est sanctifié par l'esprit géométrique. Voici une nouvelle découverte : ils nous avertissent que le siècle se refroidit sur l'ode. En ce cas nous le réchaufferons. Cependant examinons, avant toute chose, si le fait est certain. Je vois qu'Horace et Rousseau sont entre les mains de tout le monde, et que des personnes d'esprit en font leurs délices. Ils ont la réponse prête : « Tant pis pour ces gens, diront-ils, ils n'ont pas l'esprit philosophique. » C'est l'abrégé des controverses, et cette formule mène à de promptes conclusions. Nos nouveaux pédagogues nous instruisent que l'ode doit être sublime d'un bout à l'autre; et moi, je les supplie de lire le Traité du Sublime de Longin,b qu'assurément ils ne connaissent pas. Mais les promptes décisions ont quelque chose d'imposant qui les contente plus que des discussions de matières aussi puériles. Si cependant nous osions les instruire à notre tour, nous prendrions la liberté de leur apprendre en toute humilité qu'il y a plus d'un genre d'odes. Il y en a de pindariques, où l'on fait entrer autant de pensées sublimes que l'on peut; il y en a de moins élevées qui ne manquent pas d'agré-
a Claude Favre de Vaugelas, né à Bourg-en-Bresse en 1585, grammairien célèbre, traducteur de Quinte-Curce, et, jusqu'à sa mort, arrivée en 1650, un des principaux rédacteurs du Dictionnaire de l'Académie française, dont la première édition parut en 1694.
b Traité du Sublime ou du Merveilleux dans le discours, traduit du grec de Longin par Boileau.