<70>langue française ne se corrompra pas; mais ce n'est pas à dire qu'il n'y ait des exceptions pour la poésie, et qu'il faille absolument la juger comme de la prose. L'ellipse est une beauté en vers; Racine a bien dit :a
Je l'aimais inconstant; qu'aurais-je fait fidèle?C'est dans un moment de passion qu'Hermione s'exprime ainsi. En prose il faut nécessairement : « s'il eût été fidèle. » Donc, en jugeant Racine sur les règles des despotes, ce vers ne vaudrait rien. J'en conclus donc que des lois qui ne sont pas justes ne valent rien; et si je conclus mal, vous verrez que c'est pour n'avoir point l'esprit philosophique.
On demande d'un poëte de la justesse dans les pensées, une élégance harmonieuse et continue, de l'ordre et de la liaison dans les idées, un ton proportionné au sujet qu'il traite, des grâces, de l'abondance et de la variété, surtout l'art de plaire. Tout cela sont des dons de la nature qu'on appelle génie et talent, qui se perfectionnent par l'étude des bons auteurs, et se raffinent par le goût. Nous osons répondre que ceux qui seront doués de ces faveurs divines n'auront pas besoin d'un privilége de nos despotes pour trouver des lecteurs et des admirateurs. Ces talents vraiment divins sont si rares chez toutes les nations policées et dans tous les âges, que les noms de ceux qui les ont possédés ne parviendront jamais à charger la mémoire des amateurs. Peut-être nous serait-il permis d'avancer que les géomètres ont été plus communs, parce qu'avec de l'application et un calcul tout mécanique, cave des courbes qui veut. Mais nous nous abstiendrons d'avancer une assertion aussi téméraire, hérétique et sentant l'hérésie; nous nous contentons d'assurer que la poésie exige le plus grand génie, joint à une imagination vaste, mais réglée.
Je commençais à trembler en voyant les nouvelles règles des géomètres législateurs de la poésie, et je ne craignais pas sans raison qu'il ne leur prît fantaisie de supprimer la rime et d'établir à sa place des chiffres au bout des vers, en valeur de certain nombre de syllabes. Cela les aurait peut-être réconciliés avec la poésie, et ils auraient acquis des droits légitimes sur les vers qu'ils se seraient assujettis par les nombres et les calculs. Mais,
a Andromaque, acte IV, scène V. Le Roi altère légèrement le texte.